mercredi 26 novembre 2014

Le judaïsme est-il vintage ?

Définition de vintage : Vêtement, accessoire ou meuble caractéristique d’une époque précédente et qui est remis au goût du jour.

Une question m’a surpris. Et m’a incité à y répondre avec sincérité. Elle a été posée par une étudiante suédoise de dix-sept ans.
Sa classe visitait la Grande Synagogue de Strasbourg à l’initiative de leur professeure, attentive à faire découvrir à ses élèves le patrimoine juif et désireuse d’établir un dialogue entre le rabbin et la vingtaine de jeunes.

Des Suédois à Strasbourg

Brève présentation de la synagogue et des principes fondamentaux du judaïsme, puis la parole est ouverte : les élèves discutent, interrogent, échangent.
Ce rituel se répète au fil des années, avec sa multitude de questions.

Mais cette question-là apparaissait pour la première fois : « Avec la montée de l’antisémitisme et les difficultés pour les Juifs de vivre et de s’épanouir à travers l’histoire, êtes-vous content d’être juif ? »

On m’avait déjà demandé s’il était facile de concilier vie religieuse et société. On m’avait déjà demandé si le judaïsme était une religion heureuse. On m’avait déjà demandé s’il était difficile d’être un Juif pratiquant.
Mais on ne m’avait jamais demandé si le poids de mon histoire remettait en question ma condition profonde de Juif. Si la lourde charge de mon passé pesait trop sur mes épaules. Et si j’en étais heureux.

Après un moment de réflexion, j’ai donc répondu : Votre question est pertinente et interpelle le cœur d’une histoire.
Tout d’abord, j’avoue n’avoir jamais eu le choix. Être juif est une condition qu’on ne choisit pas ; chacun la subit plus ou moins bien. Mais dans la mesure où je ne peux la choisir, il m’incombe d’en être heureux.

Comme vous touchez là un point sensible de mon identité, voici ce que je peux encore ajouter. Imaginez que votre famille ait des origines sortant de l’ordinaire.
Que votre arrière-grand-père était le cuisinier du roi de Suède et qu’il possédait des secrets culinaires transmis de génération en génération.
On peut imaginer sans peine le sentiment, particulier et intense, qui envahirait votre cœur lors la cérémonie familiale prendrait place, une fois par mois ou par semaine, quand ce plat serait cuisiné dans la sphère chaleureuse et restreinte des descendants.
Certes, les voisins seraient partagés. Les uns seraient admiratifs face à un rituel fidèle, à la beauté d’une pratique conservée ; les autres animés par la jalousie ou par un manque de sensibilité historique, indifférents à la tradition familiale ou hostile à la pérennité de cette particularité.
Figurez-vous à présent que, chaque matin depuis plus de 3 300 ans, les Juifs posent un boitier noir sur le bras et un autre sur la tête. Chaque matin depuis le jour où Moïse a demandé à D.ieu le secret des Tefilin.
D.ieu lui a expliqué qu’il fallait mettre quatre parchemins dans un boitier noir relié à des lanières en cuir et les mettre chaque jour. Dès lors, chaque matin, les Juifs à travers le monde font la même chose.
Ce témoignage d’un passé et d’une tradition historique est d’une puissance qui dépasse l’entendement. Chaque jour, je reproduis le geste de mon grand-père ainsi que celui de Moïse et du roi David ! Peut-on concevoir un geste plus fort ?

Une éternelle transmission

Le vendredi soir, je m’arrête de travailler pour me rendre à la synagogue ou bien me reposer chez moi, en famille. A l’instar de mes ancêtres depuis 3 300 ans, qui cessaient leur travail au coucher du soleil, tandis que les plats pour les vingt-cinq prochaines heures étaient déjà préparés.
Tout cela je l’accomplis de même. Cette chaîne de tradition ne s’est jamais interrompue depuis plus de trente-trois siècles. Je porte en moi un secret de famille qui n’a aucune équivalence dans l’histoire de l’humanité.
C’est pour moi une forme de responsabilité unique qui peut en effet susciter jalousie et incompréhension. Soit. Mais mon rôle est de partager cette joie avec ceux qui veulent comprendre ma particularité – et d’ignorer les autres.

Suis-je pour autant un homme du passé ?

Jamais je n’en ai eu le sentiment.
Car le peuple juif a toujours eu cette faculté de vivre dans un présent, de s’intégrer dans divers pays et continents, de prendre part aux développements scientifique, culturel et artistique, tout en préservant cet héritage si riche.
Le Juif ne se contente pas de vivre dans un présent avec l’héritage du passé. Il sait aussi être créatif et imaginer un futur ; il doit rêver, se projeter dans un avenir, avec son lot d’incertitudes.
Ainsi naît l’image du Juif jouant du violon, plus aisé à transporter qu’un piano en cas de déplacement forcé.

En somme, être juif n’est pas se situer dans un entre-deux – Bein leBein en hébreu -, entre deux histoires, entre deux temps, entre un passé et un futur, entre des traditions et un monde moderne, entre la vie privée et la synagogue.
Car ce Juif de l’entre-deux ne sait plus qui il est, où il se trouve ; il se redéfinit chaque jour au risque de perdre la définition stable et essentielle qui transcende les générations.
Ce Juif, à défaut de se concentrer sur le futur à réinventer, doit se concentrer sur la définition d’un présent indéfini.

Être juif, c’est la conjugaison de deux choses - Gam véGam – , d’un passé et d’un futur qui produit l’énergie d’agir dans le présent. Savoir d’où nous venons, prendre conscience de la charge d’une histoire.
Vibrer à l’évocation d’une pratique millénaire, car que peut-on trouver de plus fascinant que l’idée d’une gestuelle inchangée depuis le désert en route vers la terre promise ?
Suis-je heureux d’être juif ? Rien ne m’est plus excitant que la conscience juive.
Car pour moi être juif ce n’est pas être old-fashion, mais c’est « vintage » !
Ma réponse semble avoir convaincu la jeune fille en quête de compréhension, son visage s’est illuminé à mesure que je lui expliquais ma conception du Juif. La classe entière avec les trois professeurs a ri à l’association du judaïsme et de la mode en cours.

À toute allure

Remontant dans mon bureau je pris conscience de l’importance de parler de notre époque. Nous sommes à une époque charnière, dans une génération qui a encore une forme de nostalgie pour un passé alors qu’elle est projetée à grande vitesse dans une nouvelle ère qui semble faire perdre le contrôle à beaucoup d’entre nous.
Est-ce un hasard si notre époque renouvelle avec talent des objets du passé ?
N’est-ce pas le signe d’un besoin d’une conscience d’un temps plus ancien qui indiquerait la nécessité d’un repère ?
Le judaïsme moderne est inévitablement « Vintage » !

Le visage d’Avraham

A propos du premier verset de notre Paracha (Gen 25,19) : « Ceci est l’histoire d’Isaac, fils d’Avraham : Avraham engendra Isaac», le commentateur légendaire, Rachi, explique qu’à cause des moqueurs de l’époque, D.ieu a modelé le visage d’Isaac à la ressemblance de celui d’Avraham, et tout le monde a pu ainsi témoigner que celui-ci était bien son père.

Nous pouvons en conclure que, malgré le fait qu’un fils puisse ressembler à son père soit un phénomène naturel ; toutefois, Isaac, à l’origine, ne devait pas ressembler à Avraham et ce n’est que par le fait d’un miracle que cette ressemblance s’est faite.

Justement, pourquoi Isaac ne devait-il pas ressembler à son père ?

Le Rabbi de Loubavitch explique selon les principes des secrets de la Torah, qu’Avraham était le symbole de ’Hessed, la bonté. Or, la nature fait que les traits du visage expriment la qualité d’une personne. L’homme joyeux et accueillant a un visage différent de celui qui est animé par la rigueur et la sévérité. Parce que le caractère profond se retrouve sur la physionomie.

C’est ainsi qu’Avraham avait naturellement un visage souriant et avenant. Alors que son fils Isaac dont la qualité principale était la rigueur et l’exigence, devait avoir initialement un visage plus austère et plus grave que son père.

Mais le miracle se produisit, et Isaac est né avec les mêmes traits que son père. Il était donc rigoureux profondément, mais clément à l’extérieur.

N’est-ce pas là un enseignement pour chacun d’entre nous ?
Nous sommes tous, de façon plus ou moins fréquente, animés par une volonté de mettre de l’ordre et d’être rigoureux. Pour autant, la Torah nous enseigne que cet élan ne doit pas se transformer en barrière vis-à-vis d’autrui ; bien au contraire, nous devons en toute circonstance savoir garder un visage joyeux et ouvert aux autres. Le visage d’Avraham.
Car l’adage de la Michna: « Et accueille chaque individu avec un visage bienveillant » n’est pas destiné uniquement à ceux qui sont enclins naturellement à l’être.
N’est-ce pas un hasard si l’auteur de cet adage est Chamaï, l’illustre sage connu pour sa rigueur ?

mardi 23 septembre 2014

La  nostalgie  du  pays

Mon meilleur ami russe me raconta l’anecdote suivante.

Oleg et Michael se promenaient sur Brighton Beach – une plage située au Sud de Brooklyn, fréquentée par beaucoup de Juifs russes.
Quand soudain Michael dit à Oleg : « Qu’est- ce qu’on était bien en Russie, je me souviens encore des grandes avenues de Moscou, son théâtre le Bolchoï etc. Oui je sais, tout n’était pas parfait, ici à New York la vie est différente, voir même meilleure, mais tout de même je suis nostalgique de la Russie. Et toi Oleg tu ne dis rien ? Tu n’es pas nostalgique du pays qui t’a fait grandir ? »
Et Oleg de répondre à Michael : « Non, je ne suis pas nostalgique, je ne suis pas juif ! »


Cette anecdote ne quitte pas mon esprit depuis que j’ai lu l’éditorialiste de l’Express Christophe Barbier sur « Les juifs ont-ils raison d’avoir peur ? ».

Ma première réaction n’était certainement pas de répondre par oui ou non, mais bien de me demander pour qui se monsieur se prend ? Il se permet d’affirmer que nous – je me sens forcément inclus – avons peur et par conséquent, ose s’interroger si nous avons raison...
L’outrecuidance de juger de nos motivations est en soi une insolence. Car, premièrement, on peut considérer que notre expérience de l’histoire démontre que nous avons bien souvent raison avant les autres, quand il s’agit de sentir les dangers géopolitiques, et nos prophéties s’avèrent généralement plus pertinentes que les analyses d’une presse qui n’a d’autre vocation que celle de vendre du papier sur notre dos.

Mais là n’est pas vraiment le sujet...

Puis, ce que M. Barbier n’a pas compris, mais qui est ressenti comme une évidence pour beaucoup de Juifs, c’est que « la peur » n’est pas un sentiment qui habite notre peuple. Le peuple juif n’a pas peur, parce que, depuis la nuit des temps, nous vivons avec la promesse de la Torah : « Ne crains rien car l’Eternel ton D.ieu te protège ». Notre confiance en D.ieu est bien plus forte que la peur !
Vous allez me dire, mais si nous n’avons pas peur, quel est donc le problème des Juifs de France et globalement d’Europe ?


La réponse est plus subtile...

Les Juifs souffrent de nostalgie !

La nostalgie est un sentiment de tristesse causé par le désir de revivre un souvenir passé.
Les Juifs sont de grands démocrates, ils aiment la liberté, ils s’impliquent pour vivre en société, ils donnent leur avis sur tout, ils pensent, ils créent, ils se passionnent à imaginer le futur, ils savent appréhender les difficultés, ils ont du courage, ils n’ont pas peur de prendre des risques, ils éduquent leurs enfants avec le sens de l’effort et de la construction d’un avenir.

Cela ne veut pas dire qu’ils réussissent à chaque fois, mais il est évident que pour le peuple juif, le développement d’une société florissante et de son destin est une préoccupation majeure.

Or, les Juifs prennent conscience aujourd’hui d’une situation qui les rend nostalgiques. Le rêve français – s’il a un jour existé – est à ce jour bien endormi. La société d’intégration est un échec. La liberté des Juifs se limite dangereusement. L’affirmation d’une opinion favorable à Israël devient presque un délit. Le principe sacré de la démocratie qui doit être la pierre angulaire de nos valeurs, s’effrite.
En fait, que notre pays prenne position contre Israël, que la France et les grands médias ne comprennent pas que l’agresseur n’est pas Israël, pourrait à la limite se comprendre par les pressions et le vent international anti-israélien qui souffle sporadiquement mais sûrement. Mais que nos hommes politiques et que les médias mettent sur le même piédestal Israël et un mouvement terroriste sanguinaire tel que le Hamas, il y a là une ligne morale qu’un pays démocratique tel que la France ne devrait pas franchir.
Que des antisémites crient dans la rue « mort aux Juifs » est intolérable, certes. Mais le pire est de manifester et d’entendre des mouvements politiques et syndicaux officiels appeler à rejoindre le mouvement tandis que celui-ci a été interdit. Il s’agit là d’une offense majeure à l’autorité de l’Etat. Et pourtant, aucune sanction exemplaire ni mesure de répression n’ont été prononcées...

Or, fondamentalement, un pays qui ne se donne pas les moyens de faire respecter ses propres décisions est un pays sans avenir !

Quant au conflit israélien lui-même, on critique souvent les médias d’omettre de mentionner qui viole les cessez-le-feu etc. Mais plus grave qu’un simple oubli chronologique, c’est une faute morale éclatante d’injustice qui saute aux yeux à travers les allégations mensongères et les reportages biaisés des journalistes. Quel est le pays dont la moralité condamne un acte quand il est perpétré par Israël, mais qui soudain le transforme en cas de légitime défense pour un conflit situé à quelques centaines de kilomètres d’Israël à peine ? La France, entre autres.
Où se trouve le curseur moral de nos valeurs ?
La France et les pays qui l’accompagnent ont-elles le monopole de la lutte contre le terrorisme ?


La faute morale est l’élément qui provoque chez les Juifs – et c’est parfaitement mon cas – ce sentiment de nostalgie.


Je l’assume. Je suis nostalgique d’une France des valeurs. D’un pays qui ne change pas de virer de bord en fonction d’une manifestation, qui prend conscience des dangers que notre société court en renonçant à la lutte contre l’intégrisme.

Je suis nostalgique d’une France des libertés, où marcher dans la rue avec une Kippa ne fait pas de moi une cible avec le sentiment de mettre en danger mon intégrité physique.
Je suis nostalgique d’une France qui affichait – jadis – fièrement son amour pour Israël, symbole du seul couloir étatique de toute la région, partageant les mêmes valeurs que notre devise nationale.

Portant dans mes gènes 2000 ans d’errances, de menaces, de persécutions, d’expulsions et de massacres, j’ai développé une sensibilité qui fait de moi un être particulièrement réceptif aux changements de courants... A l’image des marins qui, au nez, savent de quel côté le vent va tourner !

Notre barque « France » s’éloigne du port de la République. La nostalgie devient de plus en plus intense. Certains se sont déjà jetés à l’eau pour nager vers des eaux plus plaisantes. 

CARNET DE VOYAGE : SUR LES TRACES DE LA SHOAH PAR BALLES

Article publié sur le site du Consistoire Israélite du Bas-Rhin
http://www.cibr.fr/nodeorder/term/1/carnet-de-voyage-mendel-samama-sur-les-traces-de-la-shoah-par-balles

Mi-avril avril, le Rabbin strasbourgeois, Mendel Samama, était en Ukraine pour participer à une mission de l’association Yahad In Unum au sein de laquelle il est engagée. A Korosten, précisément, aux côtés du Père Patrick Desbois, il est allé sur les traces de la Shoah par balles qui a tué un million et demi de juifs et de Tziganes en Europe de l’Est entre 1941 et 1944. Son récit, passionnant, nous permet de mesurer l’étendue de sa mission et, surtout, les émotions ressenties.
Pour moi, voyageur assez régulier entre l’Europe, la France et les pays de l’Est et l’Ukraine, il y a un avant et un après l’Euro 2013. Car même si le football n’est pas trop mon truc, je dois reconnaître que beaucoup de choses ont changé depuis. Le nouvel aéroport de Kiev, les routes refaites avec un bitume sans trous… tout cela rend l’atterrissage beaucoup plus agréable !
Mais il faut en profiter car ce sentiment ne dure jamais très longtemps. Au moins dans mon cas.
Après trois heures de route en voiture vers l’Ouest, me voilà arrivé à Korosten, petite ville du district de Zythomir dans un hôtel à l’allure soviétique, avec son long couloir et ses deux rangées de chambres sans fioritures de part et d’autres.
L’installation commence toujours par mettre au frigo la nourriture prévue pour les trois jours. Sauf que cette fois-ci, pas de chance,  ma chambre ne comporte pas le moindre équipement de ce type. Il va falloir attendre que l’équipe – déjà sur place depuis quelques jours et au travail - rentre du terrain pour obtenir de la réception soit un changement de chambre, soit l’installation d’un frigo dans la mienne.
Entre temps je demande du Wifi. On me dit qu’il n’y en a pas. Décidément, ce séjour commence bien…

LUNDI 22 AVRIL

Ici, pas besoin de réveil,  il n’y a ni volets ni même rideaux opaques et au-delà de 6 heures, il devient difficile de dormir. Douche, Tefila, petit déjeuner et organisation du travail pour la journée, voilà le programme de la matinée.
Geoffroy le chef d’équipe nous attend à 8h30 pour le départ.
À 10h15 nous arrivons dans le petit village de Ouchomir. Nous nous rendons chez un premier témoin, Trosky Saleyevitch. Né en 1931, il travaillait en 1939 dans une coopération et 150 juifs travaillaient dans les ateliers de l’État. Il se souvient qu’avant la guerre, les juifs habitaient au centre-ville. À l’époque il y avait deux conseils ruraux, l’un pour les Ukrainiens et l’autre pour les juifs, dirigé par un certain M. Leichman.
Il se souvient aussi de la famille Landman, leurs filles Frima et Shurka. Le père était commerçant. En face du club (lieu de rencontre et de jeux), à côté du marché, il y avait une synagogue en bois.
Lors de l’arrivée des Allemands,  le 8 août 1941, il était à Ouchomir. Il a vu les Allemands rassembler les juifs du village dans l’hôpital puis les fusiller. Selon lui, la plupart avaient toutefois quitté la ville avant l’occupation, en fuyant par le train en direction de Tachkent. Quant à leurs maisons, elles ont généralement été détruites par les voisins qui espéraient y trouver des bijoux et autres objets de valeur, que les juifs étaient supposés avoir enfoui dans la terre.
Une dizaine de juifs, artisans connus du village, ont réussi à se cacher dans une cave quelques jours. Mais une personne les a dénoncés aux Allemands. Comme ils refusaient de sortir, les Allemands ont jeté de la paille enflammée dans la cave. Ils ont été fusillés près de la rivière. Selon ce témoin, quelques années plus tard, les corps ont été exhumés et enterrés dans le cimetière juif.
Nous nous rendons alors sur le lieu de la fusillade, où nous savons que les juifs ont eux-mêmes creusé la fosse.
Nous faisons ensuite la connaissance d’un historien qui dit avoir enquêté sur l’histoire des juifs et des disparus pendant la guerre. Il parle beaucoup, veut raconter ce qu’il sait, mais il est beaucoup trop jeune pour avoir pu en être le témoin...
Le témoin Anthon Gergorewitch, né en 1924 dans le village Krotsnopil, nous en apprend davantage. Quand la guerre a commencé, il était dans un village à 10 km à l’ouest. Il se souvient très bien des juifs, il voulait même se marier avec une de leurs filles. Mais Mania, celle qu’il aimé et avec laquelle il voulait se marier, a disparu.
Dans sa classe à l’école, il y avait 13 enfants juifs. Il se souvient des Matsot que les juifs mangeaient à Péssa’h et des Tefilin que les juifs mettaient sur le bras. Les mariages mixtes existaient, M. Gershman s’est marié avec une Ukrainienne.
Après le déjeuner, nous poursuivons avec la visite du cimetière de la ville en compagnie du maire, une femme. Elle nous explique que certains juifs sont revenus après la guerre, d’autres ont maintenant de la famille en Israël. Ceci explique le fait qu’une partie du cimetière soit plus récente que l’autre.
Il n’a pas l’air réellement en danger, la mairie a l’air d’y faire un peu attention, d’autant plus qu’il se trouve en face de l’autre cimetière de la ville.
Pourtant, j’ai trouvé deux grandes croix dans une partie un peu retirée entre deux tombes juives. Elles n’y sont plus aujourd’hui. Elles ont été retirées par mes soins.
Le problème, c’est le long terme. Si l’agriculteur dont les champs s’étendent un peu plus loin veut dans quelques années rogner une partie du cimetière, qui l’en empêchera ? Pour cela, il faudrait le délimiter avec une barrière. La mairie ne semble pas avoir l’argent pour le faire et le coût est d’environ 1000 $. Je prends les coordonnées de la mairie, en espérant que nous trouverons une solution.
Nous changeons de village et nous nous rendons à Koupychtcha. Un témoin nous raconte en détail les événements de l’été 42. Il s’appelle M. Federowsky. Né en 1928, il avait alors 14 ans. Par chance, il a le goût de l’histoire et se souvient parfaitement de son déroulement.
Des juifs hongrois ont été forcés de rester dans une écurie. Il a fait du troc avec eux pendant quelques jours, il apportait du lait et du pain à l’ail, en échange d’une montre ou d’un couteau.
Un soir vers 2h du matin, il a été réveillé par une lumière qu’il a observée de son lit – celui-ci faisait face à la fenêtre. C’était l’écurie qui brûlait. Les Allemands ou les soldats hongrois (il ne sait pas) ont allumé l’incendie et 800 juifs y sont morts dans des cris atroces. Ceux qui ont tenté de se sauver par la seule issue qui restait se sont fait fusiller.
Seuls 15 ont été épargnés, dans le seul but de leur faire creuser une fosse et d’y disposer les restes des corps. Une fois le travail accompli, ils y sont descendus à leur tour et ont été tués d’une balle.
Aujourd’hui il ne reste plus aucune trace de ce drame. Après la guerre, le terrain a été utilisé pour faire paître les vaches. Un monument a été érigé un peu plus loin en 2005 par plusieurs organisations mais il se trouve à 300 mètres du lieu réel de la fosse, plus proche de la route, la raison sans doute du choix de cet emplacement. Ce monument est très particulier : il est composé de huit pierres symbolisant les 800 morts, et sur chacune sont listés les noms et prénoms des victimes.
Quant à l’emplacement lui-même, c’est désormais un terrain vague, donc sans risques.
Je cherche des noms familiers et en retrouve quelques uns : Adler, Landau, Ehrenreich, d’autres encore, je prends des photos. Je me dis que je vais peut être pouvoir aider une personne à la recherche des traces de sa famille. Je compte aussi plusieurs fois mon prénom, Mendel.
En rentrant, je constate que l’ambiance est plutôt légère. Le contraste est étonnant entre le sérieux avec lequel chacun aborde ce travail difficile pendant la journée, et le relâchement une fois la journée de travail achevée... Comme si nous cherchions à quitter ce monde de barbares dans lequel nous étions plongés pour un autre plus humain... Comme si la blague, ou l'histoire de famille opportunément racontée par l'un de nous nous permettait de renouer avec notre humanité...

MARDI 23 AVRIL
Départ vers 8h45 pour la ville de Olevsk, légèrement plus au nord que les villages précédents.
Quelqu'un nous indique que les juifs de la ville ont été fusillés un peu en dehors de la ville, dans le village de Varvarivka. Nous retrouvons la fosse grâce au grand monument qui y a été construit et sur lequel est précisé que « plus de 900 juifs homme, femmes et enfants ont étaient tués ici au bord de la rivière le 15 novembre 1941 ».
Nous découvrons notre premier témoin, une dame de 86 ans qui nous raconte que certains des juifs n'ont pas été tués par balle, mais à coups de pelles... Nous nous rendons avec elle sur les lieux. Mais cette fois, je ne descends pas du camion. Je ne veux pas. Au fond de moi, quelque chose me dit « stop, ça suffit ». Combien de fois vais-je encore devoir subir ces descriptions atroces, ces récits d'enfants assassinés ? L'envie de pleurer m'étreint la gorge... Jusqu’à quand ? Notre peuple qui a déjà tant souffert va-t-il encore souffrir ? Combien de temps ?
Ce n’est pas une lassitude, une envie de tout arrêter, je sais que ce travail important et unique. Que si je suis là c’est pour une mission à accomplir ! Mais je pense à ces enfants, ces bébés… J’ai envie de rentrer et de serrer les miens contre mon cœur.
Ce sentiment surgit parfois, et parfois il ne vient pas. Mais là j’ai un poids. Je sais que dans l’équipe, nous travaillons comme des historiens, en prenant la distance nécessaire avec les récits et les événements. Mais ce n’est pas la même chose pour moi. Parce que ces évènements ont concerné des juifs, ce n'est pas pour moi seulement l'histoire avec un grand H, c’est aussi mon histoire, c’est nous, c’est mon peuple, c’est mon frère, ma sœur, mes enfants... Je n'arrive pas toujours à écouter avec détachement, à demander de préciser un détail que je suis incapable d’entendre. Le chef d’équipe, lui, doit les demander, il doit faire son travail, chercher, enquêter...  Parfois c’est pour moi plus difficile, parce que je m’identifie à cette histoire qui n’est pas uniquement celle d’il y’a 70 ans ou plus, mais que je sens encore très présente... Dans ces moments-là, je reste dans le camion, j'écris, j'écoute de la musique, je me protège. J’irai les rejoindre dans un moment quand mon cœur me dira que c’est le moment de le faire...
Lorsque finalement je les rejoins, nous approchons de la fin. Mais j'entends l’essentiel. Ce ne sont pas les Allemands qui ont tué, mais les policiers (locaux). La vieille dame raconte qu’elle a vu les juifs marcher, subissant toutes sortes d'humiliations, contraints de ramper, manger de l’herbe. Parfois, les bourreaux brûlaient les barbes de ceux qui ne marchaient pas assez vite.... Lors de la fusillade, les enfants ont dû sauter sur les corps, puis ils ont été frappés à coups de pelles, jusqu’à la mort.
Il y a deux fosses. Le témoin raconte que lors du passage de la colonne son père a reconnu un juif qui marchait avec sa fille. Il a alors attiré la petite pour la cacher dans la jupe de sa propre fille (devenue cette vieille dame aux souvenirs bien vivaces). Cachée pendant 2 mois dans la forêt, la petite fille a survécu à la guerre. C’est le petit rayon de soleil de la journée. Une petite fille sauvée. Qui sauve une vie sauve un monde.
L’après-midi nous allons dans un autre village avoisinant à la recherche de témoins. Mais il n’y a plus grand monde. Nous ne trouvons qu'un vieux monsieur qui, malgré son apparence, dépasse les 88 ans. Il n’a pas vu les juifs en colonnes, les quelques familles du village l’ayant quitté avant l’arrivée des Allemands. Mais il se souvient des policiers qui ont violé une fille, Zlata. Il revoit encore cette scène macabre, et ces policiers qui organisent une sorte de "tournante" malgré les pleurs et les supplications de la mère.
De ces divers témoignages ressort clairement la méchanceté des policiers ukrainiens, une méchanceté qui dépasse la cruauté. L’excès de zèle dont ils se sont rendus coupables est inqualifiable.
La journée se termine avec ce témoin. Elle se termine, mais pas pour tout le monde : je laisse l'équipe derrière moi, continuer le travail entamé. Je dois rentrer pour prendre ma valise et voyager pour Kiev où demain matin j’ai le vol à 6h40 pour Paris. Trois heures de route pour faire le bilan de ces deux jours.
D’un côté je suis tellement soulagé de pouvoir rentrer à la maison, d’un autre je pars avec le sentiment d'une tâche qui ne sera certainement jamais achevée. Qui voudra mettre suffisamment d’argent pour protéger les cimetières, les fosses ? Qui prendra en charge le suivi des travaux ? C’est le travail d’une vie.
Mais qui est responsable de cette situation ? L’homme ? La communauté juive ?
En rentrant de ces voyages, j’emporte avec moi beaucoup plus de questions que de réponses. Des questions qui ne concernent pas seulement l’histoire, parce qu’elle nous dépasse, parce qu'elle n’est même pas de l’ordre du questionnement, mais de l’énigme, du mystère. Mes questions touchent à notre devoir à nous, notre mission, la grandeur de notre investissement. Et pas seulement cette mission en Ukraine, en Russie et ailleurs, mais plus généralement notre mission dans la vie. Pourquoi avons-nous la chance de vivre là librement ?
Mais je rentre aussi convaincu de l'importance de démontrer à notre peuple et à ceux qui nous observent que la vie prime, qu'elle doit être le centre de notre intérêt. Pas n’importe quelle vie, celle qui fait de nous des êtres vivants avec un sens et une raison d’être et, à mes yeux, cela passe nécessairement par la transmission des valeurs de la Torah et des Mitsvots.
Pour le reste, j’attends de pieds ferme le jour où on verra se relever nos frères et sœurs, lors de la rédemption finale et de la venue du Machia’h, que j'espère pour très bientôt. Amen.

mardi 24 juin 2014

L’Aliyah, est-ce vraiment maintenant ?

Préparez les passeports. Faites vos valises. L’Aliya c’est maintenant. Voilà un petit florilège des appels qu’on a pu constater particulièrement depuis l’attentat de Bruxelles et l’agression de Créteil, et il est vrai que c’est comme ça à chaque secousse.
Sur les blogs, les réseaux sociaux, chacun y va de son bon sentiment et de sa sincérité pour démontrer l’absolue nécessité de quitter la France (et même l’Europe) et de partir en Israël.
Je suis très réservé sur l’opportunité de ce type de réaction. Et je souhaite expliquer le danger que cela peut représenter en quelques points.
Premièrement : disons simplement, d’un point de vue psychologique, qu’il est évident que si la conséquence de la pression et des agressions que nos ennemis exercent sur nous provoquent une volonté de quitter le pays, il ne faut pas être un grand prophète pour prédire une augmentation de la pression sur les juifs de France.
En fait, quand on dit publiquement que nous allons partir, nos agresseurs se sentent dans la position du vainqueur et nous, dans la peau du vaincu. Ça devient alors un cercle vicieux sans fin.
Par ailleurs, les pouvoirs publics qui luttent – tant bien que mal – contre ces fléaux, risqueraient de ne pas comprendre le besoin de déployer des moyens pour modifier une situation, si de toute façon les juifs vont partir. Ça parait logique.
D’ailleurs, la Torah nous raconte à propos de la période d’exil des juifs en Égypte, où la pression et les agressions étaient terribles, les parents étaient esclaves, les enfants jetés à l’eau après la naissance, une situation comme jamais nous n’avions connue dans l’histoire, et quelle était la réaction des juifs ? La démission ? La soumission ? Non !
Jamais nous n’avons démissionné devant une difficulté. C’est ainsi que le verset témoigne (Exode 1,12) « Mais, plus on l’opprimait, plus sa population grossissait et débordait ». On ne renonçait pas à l’avenir, on n’arrêtait pas de bâtir des futures générations sous prétexte que les conditions de vie n’étaient pas assez bonnes.
Construire, grandir, multiplier le peuple, c’est cela notre réponse.
Se renforcer, être productif et refuser le repli.
Deuxièmement : d’un point de vue pratique, les appels à l’Aliyah ne s’adressent qu’à ceux qui peuvent concrètement partir, ce qui veut dire seulement une minorité des juifs et particulièrement une classe sociale qui a les moyens de partir ou un bagage qui va lui permettre de reconstruire une vie en Israël. Mais qu’en est-il des autres ? Les personnes âgées et les malades, les familles nombreuses et ceux qui vivent des aides sociales...
Que se passera-t-il pour eux ?
L’affaiblissement de cette population serait la conséquence directe de ces appels.

Est-ce vraiment responsable ? Est-ce que nous n’avons pas un devoir de responsabilité vis-à-vis de l’ensemble de la communauté ?
Il ne s’agit évidemment pas de décourager quiconque individuellement d’opérer un choix de vie, celui qui est l’idéal le plus valeureux pour chaque juif. Mais collectivement, la question est différente.
N’oubliez jamais que lorsque nous étions en Égypte, esclaves du Pharaon, nous avions eu la proposition de quitter l’Égypte partiellement en laissant derrière nous ceux dont l’avenir était incertain. Et Moïse, le plus grand leader de l’histoire de l’humanité, répondit (Exode 10,9) « Nous irons jeunes gens et vieillards; nous irons avec nos fils et nos filles, avec nos brebis et nos bœufs ».
En d’autres termes, il dit au Pharaon, nous n’allons pas nous sauver pour assurer notre survie, car quand nous partirons, ce sera avec la tête haute en ne laissant rien derrière nous. Se sauver comme des voleurs parce que la pression est trop forte dans l’espoir de sauver les meubles, ce n’est pas le genre de la maison.
Il y a quelques semaines, j’ai eu la chance d’entendre un débat de ce genre au Conseil de l’Europe, lors d’un congrès de Rabbins d’Europe.
Le Rabbin d’Ukraine était interpellé par ses collègues afin qu’il explique pourquoi nous n’avons pas entendu d’appel à l’Aliyah de sa part, dans une période où la situation est plus qu’incertaine avec les risques que nous connaissons pour la communauté juive.
Ce à quoi il répondit : en Ukraine il y a 120.000 personnes âgées qui vivent grâce à l’aide des structures communautaires. Si demain nous partons, il n’y aura plus d’argent pour payer les services médicaux, les soins spécifiques et les aides alimentaires, etc.
Quel est le rôle des rabbins et des dirigeants communautaires ?
D’appeler à l’abandon de ces personnes ? De dire à ceux qui peuvent bouger qu’ils le fassent ainsi il ne restera que ceux qui ne peuvent pas partir, donc sans soutien ?
Il est inutile de vous dire que l’ensemble des participants s’est incliné devant un tel dévouement et un aussi beau sens des responsabilités.
Pensez-vous que la situation soit pire qu’en Ukraine ?

En faisant référence encore une fois à l’exil en Égypte, savez-vous que parmi le peuple juif il y avait une tribu qui pouvait voyager, se déplacer et sortir d’Égypte? Il s’agit de la tribu de Levi. Cette grande famille n’était pas esclave, elle bénéficiait d’un statut à part et c’est justement ce qui explique le fait que Moïse pouvait sortir du pays pour converser avec D.ieu sur le lieu du buisson ardent.
Mais alors, pourquoi cette tribu n’est-elle pas sortie d’Égypte seule ? Pourquoi a-t-elle choisi de rester plutôt que de préparer l’avenir sur une terre plus sereine ?
Troisièmement : le point de vue géopolitique.
Il est évident qu’Israël vit actuellement des jours difficiles sur la scène internationale. Le climat est loin d’être favorable et ce que certains appellent l’isolement d’Israël, même si la réalité n’est pas celle que certains haineux espèrent, néanmoins, les tensions sont bien là. Et ce n’est pas le grand amour entre l’Europe et Israël.
Alors posons-nous la question simplement : si demain l’Europe n’a plus de grandes communautés juives, si les grandes organisations ne développent plus le judaïsme, si les militants et les dirigeants communautaires se laissent aller au défaitisme, cela va-t-il renforcer Israël ? Ne pensez-vous pas que les juifs et leur influence en diaspora sont aussi importants pour Israël ?
Israël a besoin d’être fort, mais Israël a également besoin d’une diaspora forte et active.
Puis je souhaite terminer sur un point qui évoque chez moi une certaine nostalgie. Ce sentiment qui s’éveille à chaque fois que je mets les pieds en Israël et que je respire l’air de Jérusalem.
Il s’agit du principe de l’Aliyah qui n’est pas récent et qui a été pour beaucoup d’hommes et de femmes de l’histoire du peuple juif, la raison d’être de leur vie.
Peut-on ne pas citer le Talmud de Jérusalem (Cheviyit P4,7) qui raconte à propos de Rabbi Yossi ben ‘Hanina qu’il embrassait les pierres d’Israël lorsqu’il rentrait de voyage ?

Qui n’a pas connu l’histoire de Rabbi Yehouda Halevi (1075-1141) l’auteur du fameux livre le Kuzari, né à Tolède et médecin de renommée qui choisit de laisser sa fortune et le confort de son statut en Espagne pour monter en Israël? Ses nombreux poèmes de passion pour la terre de nos ancêtres ne sont qu’un aperçu de la flamme qui brûlait en lui pour réaliser son rêve.
Et alors qu’il venait de mettre les pieds à Jérusalem, l’histoire raconte que son accompagnateur rugissait de jalousie en voyant la joie du grand homme qui pouvait enfin toucher l’histoire avec ses mains et il tua sur place le grand maître et poète Yehouda Halevi.
Ce qui est – pour moi – le plus saisissant dans ce récit, ce n’est pas uniquement le tragique épisode de la mort de Rabbi Yehouda, mais l’imagination de l’expression de ce visage, sage et rayonnant, joyeux et nostalgique par l’unique fait de fouler le centre névralgique du peuple juif.
Ça devait être d’une intensité telle, à rendre jaloux un observateur extérieur.
Cette joie, ce visage, cette passion, cette nostalgie c’est le cœur du sens de l’Aliyah. Que la terre soit celle où coulent le lait et le miel, du vin médaillé ou des technologies jalousées, c’est évidemment le signe d’une bénédiction immense ; que cette terre soit celle où nous souhaitons offrir un avenir à nos enfants, c’est naturellement une aspiration légitime et respectable.
Mais ces raisons ne doivent pas masquer la cause véritable de ces bienfaits qui n’est autre qu’Israël est « un pays sur lequel veille l’Éternel, ton D.ieu, et qui est constamment sous l’œil du Seigneur, depuis le commencement de l’année jusqu’à la fin » (Deut 11,12).
Souhaitons nous d’avoir le magnifique privilège de réaliser ce rêve, l’aspiration spirituelle la plus haute, de pouvoir toucher de nos mains les pierres de Jérusalem reconstruite avec le troisième Temple. Aujourd’hui, Amen !
Ne donnons pas le mérite de ce rêve à nos ennemis !


lundi 9 juin 2014

Traverser la cité de la Meinau le Chabbat

Un ami journaliste m’a demandé hier si c’était bien moi le rabbin Loubavitch qui traversait le quartier sensible de la Meinau à pied chaque samedi, le rabbin cité dans un article du journal « Le Monde » daté de samedi (17/05/2014) ?

J’ai naturellement répondu que n’en connaissant pas d’autres, il devait certainement s’agir de moi !
Et sans vouloir parler spécialement de moi, j’aimerais toutefois partager une expérience.

En effet, chaque Chabbat je fais la route à pied depuis mon domicile, non loin du centre-ville, pour rejoindre ma synagogue de la Meinau.
Cette magnifique synagogue se trouve au bout de la cité. Je dois donc traverser tout le quartier à pied, c’est normal, encore une fois, c’est Chabbat.
Est-ce que j’ai peur ? En fait, j’ai toujours eu la conviction que la peur se voyait sur le visage et qu’il n’y a pas de signe plus négatif que celui de la peur. En revanche, il est vrai que parfois, je me demande si je ne vais pas essuyer quelques insultes sur la dernière ligne droite.

Je dois avouer qu’à ce jour, les choses se passent plutôt bien grâce à D-ieu, ce ne sont pas les scooters à une roue ou les quads qui sont les plus menaçants, et j’ai même parfois des regards assez admiratifs pour ceux qui arrivent à faire des acrobaties sans se retrouver à terre.

Pourquoi je vous raconte cela ? Parce que j’ai la profonde conviction que nous devons nous refuser de reculer devant la petite ou grande délinquance, notre rôle n’est pas forcement de faire la morale, en revanche, nous devons vivre les choses telles que nous voulons les vivre, dans le respect des autres et des règles de la République. Mais il n’est pas question de vivre avec la peur au ventre.
D’ailleurs, j’ai croisé il y a quelques semaines un responsable d’association du quartier qui m’expliquait que pour lui, c’était important et positif que je passe dans le quartier avec ma tenue de rabbin le Chabbat. Il avançait que c’était un signe de vivre ensemble et une marque d’ouverture envers les autres.
Pas plus tard que la semaine dernière, un jeune du quartier m’a abordé en me demandant si j’étais juif, je n’ai pas hésité dans ma réponse… c’est vrai je n’avais pas trop le choix ! Puis il m’a demandé un renseignement concernant un mot en hébreu.

Et franchement, ça m’a fait plaisir de pouvoir échanger avec une personne et de partager quelques idées. Or, si je ne marchais pas dans cette rue et si je m’habillais comme n’importe qui, il est évident que ce dialogue n’aurait pas eu lieu.

C’est ainsi que je conçois le vivre ensemble. C’est-à-dire que nous devons faire l’effort de nous montrer tels que nous sommes, sans nous cacher, sans avoir honte ou peur de ce que nous pouvons représenter. Tachons en même temps de rester ouverts envers les autres, avec un regard bienveillant, afin de faire en sorte qu’un dialogue s’installe.


Nous n’avons pas les réponses à tous les problèmes, mais si nous refusons d’être ce que nous sommes au risque d’être agressés, nous n’avons aucune chance de nous faire accepter pour ce que nous sommes.

Ce  que  Mme  Horvilleur  ne dit  pas

Madame Delphine Horvilleur, se disant rabbin du Mouvement Juif Libéral de France, vient de publier dans le quotidien « Le Monde » (13/05/2014) une tribune en pleine période de scandale sur le Guet.
Bien que son bulletin ne soit pas consacré essentiellement à cette affaire, quand on peut crier avec les loups, on ne va pas bouder son plaisir ! Profitons du bateau qui tangue pour lui infliger son coup de grâce...
Mme Horvilleur y fait ainsi part de son mécontentement sur le fonctionnement du Consistoire Central et de la représentation du judaïsme en général :
« Les juifs, bien qu’épris par tradition religieuse de débats contradictoires et d’interprétations plurielles... L’institution consistoriale s’est radicalisée depuis plusieurs décennies. Elle exprime aujourd’hui presqu’exclusivement la voix d’une sensibilité orthodoxe ».

Elle déplore que la tendance libérale ne soit pas représentée dans le Consistoire, tout en attaquant cette même institution, et évoque la question des femmes dans l’institution et dans le monde religieux.
Bien que ne partageant pas ses opinions (ce n’est un secret pour personne), j’ai néanmoins ressenti une certaine sympathie pour une personne qui se donne beaucoup de mal pour réhabiliter sa mouvance au cœur du débat religieux.

N’y a t-il rien de pire que la frustration d’être ignorée sans avoir voix au chapitre ?
Tant il est vrai que la vacance du grand rabbinat pendant une année a pu lui offrir une fenêtre d’ouverture pour affirmer son positionnement idéologique, l’exploitation de cette opportunité ne lui a été que partialement profitable.
L’élection imminente d’un nouveau Grand Rabbin refermera certainement et durablement cette espace à pourvoir.

Il semblerait en fait que Madame Horvilleur ne connaisse pas le fonctionnement des institutions juives en France. Elle devrait pourtant savoir que le Consistoire n’a pas vocation à représenter toutes les tendances du judaïsme français, ce n’est pas sa mission.


Ce rôle incombe à une autre maison qui porte le nom de CRIF – le Conseil Représentatif des Institutions Juives de France.

Le Grand Rabbin de France est le représentant religieux du Consistoire, mais n’a pas la prétention de représenter les différents mouvements et mouvances du paysage juif de France. Et s’il profite d’un privilège dans son dialogue avec les pouvoirs publics, il n’en détient pas l’exclusivité.
D’un point de vue philosophique, cet argument n’est pas recevable car le Consistoire n’a pas à représenter des mouvances qui ne sont pas de sa propre conviction, de la même façon qu’il ne représente pas les mouvances orthodoxes des Yéshivot et des maisons d’études en France, ou encore les Loubavitch. Ce n’est ni sa mission ni sa vocation.
De fait, je ne comprends pas la revendication de Madame Horvilleur ; sa représentativité en terme institutionnel n’étant pas dans les prérogatives du Consistoire, je vois mal comment une modification peut avoir lieu dans ce sens.
Et si ce n’est pas au niveau des institutions qu’elle souhaite avoir sa part de visibilité mais parmi les individus « de sensibilités plurielles » souffrant d’une sous représentation, ignore-t-elle peut être que chacun peut devenir librement membre du consistoire et acquérir ainsi un droit de vote pour élire démocratiquement ses membres et espérer former véritablement une institution à l’image de ceux qui la composent ?
Le Consistoire a-t-il déjà refusé une inscription pour délit d’opinion, parce que le prétendant fréquentait une synagogue libérale par exemple ? Jamais !

Dois-je comprendre que Madame souhaiterait elle-même endosser le rôle de représentation du Judaïsme français ?
Une belle ambition certes, mais qui ne serait alors qu’une vulgaire imposture, puisqu’elle n’ignore pas que le mouvement qu’elle représente n’est qu’une petite minorité d’un judaïsme de complaisance qui n’a parfois de juif que les origines.
Aurait-elle la prétention de faire une comparaison entre la présence institutionnelle en France des structures consistoriales dans toutes les grandes agglomérations et la quasi-totalité des petites villes où une présence juive le justifie, face à la faible implantation des libéraux, concentrés en Ile- de-France.
La résonnance dont elle bénéficie dans son milieu n’est que l’arbre qui cache la forêt démographique du judaïsme français. Cela me rappelle d’ailleurs un dicton d’Europe de l’Est : « les petites pièces de monnaie dans la poche d’un enfant font plus de bruit qu’une liasse de grosses coupures dans la poche d’un adulte ! ».
Il ne s’agit pas de porter un jugement sur les membres qui fréquentent le mouvement libéral, majoritairement des gens respectables ayant trouvé dans ce discours ouvert, tolérant et édulcoré, une forme non contraignante de la tradition et une manière d’affirmer une part de leur identité, parfois avec une certaine nostalgie.


Mais les libéraux n’en sont pas à leur première contradiction.

Posons quelques repères historiques : lors de la préparation de la Loi de 1905 de séparation des Églises et de l’État, le projet déposé par le gouvernement d’Émile Combes contenait un article 8 qui interdisait aux associations cultuelles locales de se regrouper au niveau national dans un organe central.
Or, Madame Marguerite Brandon-Salvador, co-fondatrice de l’Union libérale israélite, approuvait justement cette disposition, estimant que l’association cultuelle locale est l’organe vital de la confession juive tandis que la centralisation paralyse la tradition et stérilise toute source d’initiative individuelle.
Elle souhaitait voir des rabbins maîtres de leurs communautés au point de vue spirituel, comme devaient l’être du point de vue temporel les dirigeants laïcs.
Autrement dit, les libéraux retournent leur veste en fonction de la conjoncture. Lorsqu’il s’agit de s’assurer d’avoir une indépendance totale, ils souhaitent la décentralisation, mais quand ils recherchent une plus grande visibilité, alors ils se plaignent de ne pas être suffisamment représentés.
En fait, on veut être dedans pour exister, mais dehors pour faire ce qu’on veut ! Le beurre et l’argent du beurre ?


Mais qu’en est-il de la doctrine libérale ?

Peut-elle réellement prétendre être fidèle aux enseignements ancestraux transmis de générations en générations depuis le Mont Sinaï ? Définit-elle les cadres d’un débat contradictoire – dont elle fait l’éloge – dans la tradition de l’interprétation ?
Certainement pas. C’est justement la signification du terme libéral.
Puis Madame Horvilleur d’écrire que le Consistoire est « dans la négation des mouvances et des sensibilités plurielles qui composent le judaïsme aujourd’hui, y compris celles des partisans d’une orthodoxie plus souple et moderne ».
Mais de quoi parle-t-elle ? D’une orthodoxie moderne, alors que dans les faits, elle se trouve dans une mouvance libérale bien loin de l’orthodoxie moderne à l’américaine, voire israélienne !
Le positionnement des libéraux : un judaïsme du présent.
Le présent, oui, mais sans passé ni avenir... Je ne connais personne qui fréquente les libéraux et qui est libéral de père ou de mère en fils depuis 5 générations !
Il suffit de regarder les pères fondateurs de ce mouvement... Moses Mendelssohn n’a pas eu la chance d’avoir des arrière-petits-enfants juifs.


Le constat est ainsi, même s’il est dramatique.

Parce qu’il faut bien comprendre que la mouvance joue essentiellement un rôle palliatif quand le judaïsme traditionnel ne convient pas – pour différentes raisons.
Cela me fait penser à la discussion que j’ai eu un jour avec un grand concessionnaire de la région Alsace qui a ouvert une concession automobile de marque japonaise de moyenne gamme en face d’une concession de marque allemande haut de gamme.
Il me semblait évident que la concession de mon ami souffrirait de la concurrence. Ce à quoi il m’opposa qu’au contraire, ceux qui ne pouvaient se payer une allemande, venaient chez lui! « On récupère les miettes des autres » disait-il.
C’est évidement péjoratif de dire que les libéraux récupèrent les miettes du judaïsme traditionnel, mais soyons honnêtes, si vous pouvez rentrer dans une synagogue normale en étant accueilli avec le sourire, sans souffrir de jugement sur votre code vestimentaire et que l’office est joyeux et inspirant, quelle raison vous pousserait à aller voir ailleurs?
Alors, le judaïsme traditionnel est parfois taxé de n’être pas suffisamment moderne, de ne pas donner assez de place aux femmes, d’être austère, discriminant, fermé, etc... Il ne s’agit pas de repousser ces critiques d’un revers de main, elles sont parfois – assez rarement – légitimes. Et je n’ai pas la prétention d’y répondre ici.

Mais la crédibilité de ces arguments ne fait que renforcer le constat du positionnement limité du judaïsme libéral qui n’existe que par les lacunes des autres.
Et même s’il apporte un semblant de réponse aux défaillances du judaïsme traditionnel, il n’est pas pour autant vraiment crédible en matière religieuse, tant les règles de convenance varient en fonction de l’air du temps, comme dans un club d’amis... La fédération internationale de football est même plus sensible à la préservation de ses traditions que la mouvance libérale !

On pourrait dire que le Judaïsme libéral est à la tradition ce que MacDonald’s est à la gastronomie française, non pas parce que MacDonald’s vous invite à venir comme vous êtes, comme cela est proposé par de nombreuses communautés ! Mais parce que le judaïsme libéral vous suggère de rester tel que vous êtes et vous fait croire, à l’instar de MacDonald’s, que vous pouvez manger autant que vous voulez tout en gardant votre poids de santé.
Peut-on dire que notre lien avec D.ieu n’est pas lié à nos actes ? Que nous pouvons pratiquer un judaïsme à la carte sans altérer notre alimentation spirituelle ?
Le mensonge est gros, mais il passe !
Et puisque Madame aime les jeux de mots en hébreu, je lui propose de méditer l’antinomie que représentent les termes « juif libéral ». Car juif se dit en hébreu « Yehoudi », traduit par reconnaissant.


Parce que le judaïsme est une religion qui reconnaît ses origines et qui respecte avec humilité (terme qui provient aussi de Yehoudi) la tradition originelle, sa méthode critique et son mode d’interprétation ancestrale, c’est précisément le respect de cette tradition qui permet aux juifs de se lier avec leur propre « Yehoudi » qui signifie également le nom de D.ieu.

Or, sauf erreur de ma part, ceci est en contradiction avec le terme libéral qui évoque une mouvance permissive et de libre interprétation.
Dostoeivski l’exprimait tellement bien dans « Les Frères Karamazov » : « si Dieu n’existait pas tout serait permis ».

A vous de choisir !

vendredi 9 mai 2014

Les tailleurs de diamants

« Vous compterez chacun, depuis le lendemain de la fête, depuis le jour où vous aurez offert l'ômer du balancement, sept semaines, qui doivent être entières » (Lév. 23,15)
Ce compte qui nous accompagne depuis le lendemain de la sortie d’Égypte jusqu’à là fête du don de la Torah – Chavouot - trouve son origine dans la Paracha de Emor.

Il est intéressant de constater que le mot « Ousfartem » qui veut dire « vous compterez » trouve son origine étymologique dans le mot « Saphir ».
Car le processus de la brillance de l’âme est à l’image de celui d’une pierre précieuse.


 À l’origine, la pierre provient d’un domaine volcanique dont l’extraction se fait grâce à différentes méthodes, afin d’identifier le rocher contenant un diamant. Et ce n’est qu’après plusieurs tris et filtrages que vient l’étape du nettoyage, de la coupe et du polissage afin que la pierre soit enfin digne d’embellir la parure de la mariée.

Il en est ainsi pour le peuple juif dont les âmes étaient enfouies en Égypte durant la période de l’exil comme un saphir dans la roche volcanique. Le miracle de la sortie d’Égypte n’était que la première étape d’extraction opérée par D.ieu Lui-même. Mais il est à présent question de ne pas laisser ces âmes à l’état brut, mais de les nettoyer, de les tailler et de les faire briller afin d’être prêt pour trôner en haut de la parure divine pour le don de la Torah qui, à l’image d’un mariage, va sceller l’union entre D.ieu et Son peuple.

C’est précisément le rôle de la Mitsva quotidienne du Ômer qui nous implique dans chacune des étapes de cet embellissement de l’âme qui ne peut se produire qu’au prix d’un travail au jour le jour et méthodiquement.

Au fond nous sommes tous des tailleurs de diamants.

vendredi 4 avril 2014

L’éducation, un exercice d’adaptation

Le mois de Nissan est particulier, il est le seul mois de l’année où les Tah’anounim - supplications - ne sont pas récitées dans la prière. Il y a notamment les jours de la fête de Pessa’h, mais en début de ce mois de Nissan, nous commémorons l’inauguration du Tabernacle.
En effet, en l’an 2449, les douze premiers jours du mois étaient réservés aux chefs de tribus, qui apportaient à tour de rôle les sacrifices spécifiques à l’intronisation du Tabernacle dans le désert.
Une coutume a été ainsi instituée de réciter durant ces douze jours la partie relative aux sacrifices du jour, comme si nous étions partie prenante des festivités.

Pourquoi est-il si important de s’impliquer et de célébrer les cérémonies de l’inauguration du Tabernacle alors qu’il ne s’agit – à priori - que d’un événement secondaire de la vie spirituelle ?

Et si les Sages voulaient justement nous faire prendre conscience de l’importance d’une inauguration qui nous donne la pleine dimension d’un commencement ? Comme toute nouvelle chose, il faut l’apprivoiser et s’y familiariser. Cette adaptation est le sens profond du terme ‘Hinou’h - éducation, qui n’est pas secondaire mais bien la pierre fondatrice d’une vie.
Tout commencement évoque forcément des difficultés et des défis nouveaux qu’il est judicieux de contrebalancer par un encouragement supplémentaire, comme Maïmonide l’énonce si bien dans son explication sur la Michna (Sanhédrine ch. 10) : « A l’image d’un enfant auquel on donne un cadeau d’encouragement lorsqu’on souhaite lui donner l’envie de l’étude ».

Les chefs de tribus avaient compris qu’afin d’éduquer le peuple à poursuivre dans la fréquentation du Tabernacle et dans d’élévation spirituelle, il ne suffisait pas de dire « le Tabernacle est construit, il est ouvert, venez quand vous voulez ! ». Ils voulaient renforcer cet élan par une inspiration personnelle et un sacrifice propre à chacune des tribus.
Ils ont chacun adapté leur message et leur motivation en fonction de ce qui convenait spécifiquement à leur tribu.

N’est-ce pas là le sens du conseil du roi Salomon, qui doit nous guider chaque jour dans notre rôle de parent et d’éducateur « Eduque l’enfant selon sa voie, quand il vieillira, il ne s’en détournera pas » ?