L’épisode chaotique des
explorateurs dont notre portion hebdomadaire de la Torah fait le récit nous
laisse perplexe en raison d’une interrogation majeure, qui est la suivante :
Moïse choisit des hommes sages,
avertis, des leaders, des chefs de tribus, pour faire un rapport sur les
habitants de Canaan, dans l’objectif de conquérir la future terre d’Israël.
Ces éminentes personnalités se
mettent en route avec précaution. La Torah nous confirme d’ailleurs la piété de
ces hommes en indiquant qu’ils sont instruits, religieux et fidèles à leur
conviction, en un mot, casher !
La suite de l’histoire connaît
néanmoins une fin bien triste, puisque ces explorateurs reviennent de leur
périple avec la phrase la plus diffamatoire contre l’Éternel : « Ils sont plus forts que Lui ». Même
le Tout-Puissant est faible devant la force de ces peuples, il est impossible
de gagner une guerre contre eux !
Voilà qui ne manque pas de nous
interpeller quant à la nature humaine : est-il possible d’être une
personne exemplaire au point d’être le digne représentant du peuple – l’élu des
élus – et de basculer dans les pires travers de la perversité
intellectuelle ?
En fait, la Torah oriente notre
compréhension lorsque les conditions initiales de la mission sont posées :
il s’agit pour les explorateurs de visiter le pays d’Israël, tel que l’indique
le terme utilisé en hébreu « Latour ».
Il leur fallait rendre compte de la situation sur place, mais sans faire de déductions
ni de recommandations quant à la stratégie d’attaque ou les chances de réussite
de conquête de la terre. Ils devaient simplement décrire ce qu’ils avaient vu,
faire un reportage « touristique » et se cantonner à cette mission.
Or, l’erreur fatale de ce groupe
d’hommes a été de donner un avis personnel et de tirer des conclusions en terme
de faisabilité du projet. Dès lors que la mission dévie de sa nature, même les
plus grands peuvent tomber… L’homme fidèle et honorable d’hier est devenu en
l’espace d’une réflexion interdite le porteur des blasphèmes et de la tragédie.
La Kabbale rapporte que la Terre
d’Israël est le symbole de la volonté, du dynamisme de chaque individu. (Terre
se dit en hébreu « Erets »,
qui est la racine du mot « Ratsone »,
la volonté).
Conquérir la volonté d’Israël
signifie s’ouvrir vers l’autre afin de lui faire découvrir la profondeur de son
âme et de son rôle. Et finalement, cela se révèle être la mission donnée à
chaque leader, rabbin ou cadre communautaire. Nous avons le devoir de donner
envie, donner envie de penser le judaïsme, donner envie de pratiquer le
judaïsme ou, tout simplement, donner envie d’être fier de son identité juive.
Lorsque nous nous engageons dans
cette mission de la plus haute importance, la Torah témoigne de notre intégrité
et de notre capacité à remplir notre engagement.
Malheureusement, dans une
situation dite quelquefois « perdue », il se peut que nous soyons
tentés de déclarer forfait avec fatalité, en pensant insidieusement « Il est plus fort qu’elle ». Oui,
l’homme que je cherche à convaincre est plus fort que la Torah, jamais il ne
reconnaitra sa vérité ni sa grandeur, jamais il ne changera sa vie, jamais il
ne voudra venir à la synagogue, etc. Ou dans une autre mesure, jamais cette
communauté ne sera capable de bouger, cette terre n’est pas prenable !
Constat fatal d’une impuissance rabbinique.
Pour beaucoup, l’inférence de ce
constat peut être un signe de lucidité, mais - hormis le fait que cela dépasse
notre mission et notre mandat - c’est précisément ce que la Torah condamne,
parce que déclarer notre désespoir, c’est en réalité invoquer une faiblesse divine.
De même qu’une impossibilité divine est un oxymore, pareillement, l’impuissance
rabbinique est une illusion, car nos Sages témoignent qu’« une parole sortant du cœur pénètre dans le
cœur ». Somme toute, un hymne à la sincérité !