jeudi 31 mars 2016

Une démocratie qui fait mal

La démocratie israélienne se veut exemplaire. Cette ambition lui cause bien du tort.
J’y pense à chaque fois que le pays est ébranlé par un scandale, qui n’aurait aucun impact dans une démocratie plus mature comme la nôtre, en France.
La semaine dernière, un soldat a abattu un terroriste parce qu’il avait peur qu’à part un couteau, il puisse porter également une ceinture d’explosifs.
Les condamnations ont été assourdissantes : « Dans un pays avec une armée aussi morale que Tsahal, on se doit d’être exemplaire » criaient les premières voix, « faute grave » scandaient les seconds et ainsi de suite…
Parce qu’il faut être exemplaire, le soldat est emprisonné jusqu’à la fin de l’enquête.
C’est à ce moment-là justement que la presse internationale s’empare du sujet pour en faire un titre !
Pourquoi la presse en parle-t-elle ?
Parce qu’en France et dans le monde « normal », quand une personne est en prison, c’est que c’est très grave. Vous comprenez la logique ? S’il est en prison c’est que c’est forcement sérieux, et donc forcément que le soldat est coupable… Pourquoi un soldat qui fait son travail serait-il en prison pour avoir éliminé un terroriste ?
Peut-être que le terroriste n’était pas si dangereux que ça et que le soldat cherchait sans doute à assouvir une soif de sang ?! Le monde à l’envers...
Mon avis sur ce type d’incident ?
Un terroriste ne vous donne pas le choix, soit il est mort, soit vous êtes mort. Nous en Europe, savons très bien qu’on ne négocie pas avec les terroristes et c’est notre ligne d’action. Si une personne s’amuse à brandir un couteau devant un policier, il a très peu de chance de se retrouver devant un juge. Nous le savons pertinemment et notre actualité en témoigne chaque jour. Et ceci sans état d’âme.
Le gouvernement israélien veut tellement se montrer irréprochable qu’il s’attire tout seul la critique, alors qu’un « circulez y’a rien à voir ! » bien envoyé serait tellement plus juste !!

Prenez l’exemple d’association type « Betzelem » ou « Shovrim Shtika » qui agissent véritablement de façon à nuire le fonctionnement de l’armée, pensez-vous qu’un pays comme la France aurait toléré une telle intrusion ? Pensez-vous qu’une association de ce type se permettrait en France de faire des enquêtes sur l’action de sa propre armée au Mali, en Syrie ou tout autre zone d’intervention ? Elle serait interdite avant même de commencer !
En France, nous avons une institution qui permet de mener des enquêtes par des travaux parlementaires ou par le pouvoir exécutif lui-même.
Mais Israël est un pays de liberté absolu, et l’existence même d’une telle association symbolise tout l’éclat de son modèle démocratique, qui tranche tant avec les régimes dictatoriaux et totalitaristes de ses voisins.
Or le monde occidental s’appuie sur ce genres d’informations pour accuser et desservir  Israël, qui du coup, aurait tellement à se reprocher. Nos médias prennent très au sérieux les conclusions de ces associations sans tenir compte de leur dimension militante et qui manipulent dangereusement les images pour affaiblir Israël.

En France, avons-nous déjà eu un Président de la République qui a été incarcéré ? Peu importe les faits ? Non. Jamais. Même quand la justice avait suffisamment d’éléments pour le faire, elle a su faire trainer les choses et les procédures pour arriver à une condamnation qui ne faisait pas plus qu’un « Pshhhhhhhhit » dans le brouhaha des médias. Oui le peuple savait, mais le peuple ne veut pas voir son Président en prison. Est-ce que notre démocratie s’en est retrouvée diminuée ? Est-ce que nous sommes moins un État de Droit que nos voisins pour cette raison ? Certainement pas, c’est juste que nous gardons à l’esprit que si nous sommes tous égaux devant la justice, la justice connaît notre taille. Et voir un Président de la République sous les barreaux n’est jubilatoire pour aucun citoyen.
Israël se permet de mettre en prison l’un de ses Présidents pour des faits qui, franchement, sont certainement graves.  Mais en les comparant sur l’échelle des irrégularités des dirigeants internationaux, cela reste somme toute dans « la moyenne » ! Pourtant, Israël s’est payé un luxe que bien d’autres chercheraient à tout prix à éviter.
En Israël, on invoque : « Vous voyez, Israël est un pays magnifique avec un système de justice qui ne laisse rien passer, même aux plus grands, nous sommes fiers de la vitalité de cette démocratie ».
Ici, en France, on pense la chose différemment, avec une autre logique : « Si chez nous, nous n’avons jamais mis un Président en prison alors que… C’est qu’en Israël l’ancien Président doit vraiment être une crapule sans nom pour se retrouver dans cet état ».
La glorification d’une valeur dans un endroit n’est pas toujours perçue ailleurs de la même façon.

Je pense que là réside le fossé des mentalités.

Il est temps qu’Israël devienne une démocratie mature qui connaît les limites de ses pratiques et qui n’a pas la main qui tremble quand il s’agit de faire le nécessaire pour se défendre, défendre son armée et défendre ses citoyens. C’est à son courage qu’on estimera sa grandeur et non à l’éloquence de ses excuses ou de ses combats pour des valeurs, qui bien souvent, se retournent contre elle.

jeudi 17 mars 2016

Vayikra, un rabbin et Hillary Clinton

Lors d’un débat pour les primaires aux Etats-unis, un Rabbin posa à la candidate démocrate Hillary Clinton la question suivante : « le Rav Sim’ha Bonem dit que chaque personne doit avoir deux poches où dans chacune d’elle, se trouve un papier… Sur l’un doit être écrit « le monde entier n’a été crée que pour moi » (Sanhedrine 37a) tandis que sur le deuxième papier, il est noté « je ne suis que poussière et cendre ». Madame la candidate, qu’avez-vous écrit sur vos papiers ? »

La question est pertinente, elle l’est d’autant plus que chacun est tiraillé entre ces deux attitudes contradictoires. Doit-on avoir la fierté et le courage de prétendre pouvoir changer le monde puisqu’il nous appartient ou alors, notre devoir de modestie implique-t-il que nous rabaissions nos ambitions ?

En lisant le premier verset de la Paracha, nous observons que la lettre « Aleph » du mot « Vayikra » - L’Eternel appela Moïse, est plus petite que la moyenne, il s’agit d’un petit Aleph.
Observons à présent un autre « Aleph » dans les Chroniques 1.1 qui lui, est écrit bien plus grand que les autres lettres, c’est le « Aleph » du mot « Adam » - l’homme.  Comme pour nous signifier que l’homme doit être grand.

En fait, tout individu doit vivre avec une double attitude, notamment en ce qui concerne sa relation avec D.ieu mais aussi celle avec son environnement. S’agissant de l’Eternel qui interpelle l’homme ou de l’homme qui fait appel à D.ieu, c’est un petit « Aleph » qui prime. L’humilité, la réserve et la volonté de se sentir petit devant l’infini Divin sont l’unique façon de pouvoir se rapprocher de la source de vie, à l’image d’Avraham qui déclara face à D.ieu qu’il n’était autre que poussière et cendre.

En revanche, s’agissant de notre relation avec le monde, la volonté que nous avons de le transformer et de lui donner une empreinte spirituelle, passe forcément par un grand « Aleph » ! Il n’est pas possible d’adopter une posture réductrice ou passive, du Juif qui se cache, lorsque nous cherchons à défendre nos valeurs. Nous devons être conscient que le monde entier a été crée pour « moi », ce moi qui a pour mission de ne pas subir, mais d’être proactif même dans un entourage hostile. Telle est notre mission… Ajouter de la lumière dans ce monde.

Cultivons le paradoxe !

mercredi 29 avril 2015

« Vivre ensemble », est­-ce bien raisonnable ?

Le 27 janvier, alors que nous étions encore sous l’émotion de la cérémonie du 70e anniversaire de la libération du camp d’Auschwitz, je déambulais dans les couloirs du Conseil de l’Europe, durant la session parlementaire (APCE), quand je me suis soudain arrêté devant le bureau d’un ami : un « Je suis Charlie » était accroché à l’entrée. J’ai poussé la porte pour dire bonjour et je lui ai suggéré discrètement d’y ajouter un « Je suis Juif » en-dessous.
"Je ne pense pas que ce soit approprié, m’a-t-il répondu.
— Ah oui ? Et pourquoi donc ?
— Parce que nous ne sommes pas Juifs.
— Dois-je comprendre que tu es Charlie ?
— Charlie, c’est la liberté d’expression.
— Je comprends parfaitement. Charlie, c’est la liberté d’expression. Juif, c’est la liberté d’existence".

J’ai aussitôt pris congé, l’air consterné. Les pensées se bousculaient dans ma tête. Comment était-il possible que, dans cette institution, construite sur les cendres des Juifs assassinés pendant la Shoah, l’on puisse avoir une réticence à afficher « Je suis Juif » ?

16 février, scandale : Roland Dumas exprime tout haut ce que d’autres pensent tout bas ; le pouvoir est sous l’influence de la juiverie car le Premier ministre a épousé une Juive. Ses enfants seront juifs, et peut-être même ses petits-enfants. On connait la chanson ; certains n’hésitent pas à faire porter le chapeau au journaliste JeanJacques Bourdin, qui a poussé son invité dans ses retranchements. Devait-il aller jusqu’au bout de la pensée de Roland Dumas ? That is the question. Mais, dans le fond, quel est le point commun entre ces deux expériences ?

Quand des adolescents de 15-17 ans s’ennuient à mourir pour aller perturber les morts « sans motivations antisémites », quel est le malaise de notre société que nous n’arrivons pas à combattre ? 

Les déclarations d’intentions de la part des pouvoirs publics sont essentielles mais évidemment insuffisantes. Car notre société doit changer. Depuis des décennies, cette société évolue sur une conception de la responsabilité collective : ses aléas sont forcément le résultat des politiques publiques et de l’action de la collectivité. Le chômage, la faute à la crise ou à la politique. La santé, la faute au médecin. Le bonheur, la faute à l’autre. Tout cela a entraîné notre vie à être, pour une large partie, prise en charge par la collectivité. Mais quid de la part individuelle ? Où est la responsabilité de chacun ?

Que veut dire le Grand Rabbin de France ‘Haïm Korsia lorsqu’il appelle à être « le gardien de son frère » ?

Voyons le récit biblique, fascinant. Lors du premier meurtre de notre histoire, D.ieu va questionner Caïn à propos du meurtre de son frère Abel. Mais, à notre grande surprise, Il lui pose une question un peu hors sujet. A priori, si D.ieu sait tout, Il sait qu’il l’a tué et il sait pourquoi. La démarche Divine serait alors de confirmer les motivations de Caïn et de lui faire connaître son châtiment. Mais D.ieu demande à Caïn « Où est ton frère ? » Et Caïn répond avec une fausse naïveté « Suis-je le gardien de mon frère ? »

Ici, la puissance de la Bible offre sa pleine résonance.

Le crime ne commence pas lorsque l’un tue l’autre ; il trouve sa source dès lors qu’on ne se considère plus comme le gardien de son frère. Garder son frère, c’est prendre soin de lui, de son bien-être, de sa santé, de son évolution, prendre de ses nouvelles.

Le contraire c’est y être indifférent, « Suis-je le gardien de mon frère ?, dit-il, pourquoi me demandes-tu des nouvelles de mon frère ? Je n’en sais rien, demande lui directement ». Cette attitude est précisément celle qui permet de commettre le crime. Le mal dont souffre notre société n’est pas uniquement l’antisémitisme mais aussi l’indifférence. L’effet Charlie a provoqué un soulèvement où des millions de Français ont cessé d’être indifférents car ils se sentaient gardiens de cette liberté d’expression.

La France se demandait « Et si demain, moi aussi, je ne pouvais plus dire ce que je voulais ! ». Alors nous avons connu le soulèvement populaire extraordinaire du 11 janvier. Qu’en est-il des Juifs ? Qui se sent le gardien des Juifs ? Qui a ce sentiment d’être concerné par ce qui arrive aux Juifs ? Sournoisement, l’indifférence règne sur une partie de la population. Certes, tous ces événements provoquent un climat délétère ; peut-être que si les Juifs en venaient à quitter massivement la France alors on se poserait la question de l’avenir de notre pays, ou du moins de l’image qu’il renvoie dans le monde libre. Mais qui se sent vraiment concerné par ce qui arrive aux Juifs ?

L’ancien Grand Rabbin du Commonwealth Jonathan Sacks a expliqué un jour la raison de l’échec du « vivre ensemble ». Il explique que nous avons imaginé un monde comme un grand hôtel où chacun vit dans sa chambre, où chacun fait ce qu’il veut, à la seule condition de ne pas gêner l’autre dans sa vie et de respecter les parties communes. Quel en est le résultat ? Le « vivre ensemble » n’est pas en recul ; il n’existe pas. Le respect de l’autre est une utopie, la tolérance est considérée comme un exploit. Les individus se replient de plus en plus sur eux-mêmes.

Comment imaginer l’attitude de M. Bourdin si Roland Dumas avait atténué la condamnation des assassins de Charlie Hebdo. Il aurait brandi le manquement aux valeurs de notre République, en soulignant le caractère scandaleux des propos, fidèle à son habitude lorsqu’il est choqué. Or, ce qu’on reproche finalement à ce journaliste, ce n’est pas de faire son travail, mais de ne pas l’avoir fait convenablement. Un journaliste n’est pas seulement une machine à enregistrer des réponses ; il véhicule aussi une conscience qui doit être au minimum républicaine. Ainsi, laisser un ancien ministre sous-entendre qu’il faut raison garder et que la lutte contre l’antisémitisme se déroule sous l’influence d’une Juive, c’est une véritable offense aux valeurs de la République. Cette conscience, M. Bourdin ne l’a pas eue. Il n’a pas été le gardien des Juifs autant qu’il l’aurait fait s’il s’agissait de protéger le métier de journaliste. Il n’a pas été le gardien de son frère.

Mon ami du Conseil de l’Europe se sent certainement aussi proche des Juifs que de la liberté d’expression. Néanmoins, pour lui, le sort des Juifs ne revient pas à chacun dans notre société ; il s’agit du combat d’une minorité qui doit, encore et toujours, se battre pour sa survie, se battre pour vivre en paix. En revanche, quand la liberté d’expression est menacée, on s’empresse d’afficher son engagement pour la protéger. Mon ami se sent le gardien de la liberté d’expression mais pas de la vie de son frère.

Défendre des causes n’est pas un engagement à temps partiel et ce n’est pas un spectacle d’intermittents ; c’est une conscience quotidienne et constante. Chaque jour nous devons renouveler notre vigilance pour permettre à l’autre de vivre convenablement, paisiblement, il a le droit d’en bénéficier et nous avons le devoir de le lui offrir. Si cette conscience avait été éveillée chez les adolescents de Sarre-Union, j’ose croire qu’ils n’auraient jamais eu l’idée de saccager un cimetière, juif de surcroît.

Si la Torah nous explique que la cause du premier meurtre de l’Histoire est l’indifférence et l’irresponsabilité vis-à-vis de son frère, c’est justement parce qu’elle sait qu’il n’y a de vivre ensemble possible qu’à la condition d’éveiller la conscience des individus par rapport aux autres. Sans quoi le terme du « vivre ensemble » demeure un concept creux qui fait offense à son sens et qu’il vaudrait mieux ne plus jamais prononcer.

Combattre l’antisémitisme, mode d’emploi

Faire profil bas ou s’affirmer davantage ? Tel est le dilemme de la communauté juive actuellement. Le regain d’antisémitisme sans précédent que nous connaissons nous interroge sur la bonne attitude à avoir. Faire profil bas, essayer de passer inaperçu dans l’espoir de calmer les ardeurs de ceux qui refusent la part d’humanité de notre communauté, ou alors refuser de changer et continuer à vivre pleinement notre judaïsme sans baisser la tête ?

Ce dilemme n’est pas nouveau. A l’origine de notre histoire on trouve le même questionnement. Lorsque Jacob va à la rencontre de Ésaü, son frère ennemi, il cherche à faire profil bas. Il minimise sa réussite, il l’amadoue avec des cadeaux dans l’espoir que sa haine s’atténue. A la veille de leur rencontre, la Torah nous raconte qu’un duel a eu lieu entre Jacob et l’ange d’Esaü. N’arrivant pas à prendre le dessus sur Jacob, il le blesse à la hanche. Mais Jacob ne lâche pas son adversaire. C’est alors que l’ange demande à partir, mais Jacob lui demande une bénédiction.
– Mais quel est ton nom ? Demande l’ange.
– Jacob.
– Ton nom ne sera plus Jacob mais Israël, car tu as combattu les hommes et les anges et tu as vaincu. 

Mais de quel type de bénédiction s’agit-il ?

Adressez-vous à un rabbin, demandez lui une bénédiction, et s’il s’aventure à vous faire un jeu de nom, vous n’allez certainement pas le prendre au sérieux.
Quelle est l’idée de cet ange ? Jacob est l’homme qui, à la naissance, refuse de laisser son frère sortir en premier, il l’attrape par le talon « Ekev ». C’est aussi celui qui va acheter le doit d’ainesse en échange d’un plat de lentilles. Il va – d’une certaine manière – tromper son père en allant chercher les bénédictions de son père avant que ce dernier ne meurt. Même si le père dira à Esaü « ton frère est venu avec intelligence », lui, il continuera à dire « il m’a rusé par deux fois » en employant le mot « il m’a talonné deux fois » tel un homme qui refuse l’affrontement de face et qui préfère faire trébucher son ennemi en lui faisant un croche-pied.

Cette attitude de Jacob est une attitude certainement nécessaire à cette étape de sa vie et des enjeux qui se présentaient à lui, comme l’explique la Kabbala. Mais la rencontre de Jacob avec l’ange va faire changer le cours de l’histoire. L’ange bénira Jacob de la sorte : Jacob ne sera plus ton nom, cette attitude de talonnade n’est plus celle qui te convient, à présent ton nom sera Israël.

Dans Israël se trouve le mot « Sar » qui signifie « le prince ». Tu deviens le prince, celui qui a déjà affronté les hommes et les anges, celui qui sait se battre, celui qui accepte les défis et les combats ; et qui sait en sortir victorieux. L’ange bénit Jacob en même temps qu’il va lui expliquer quel est son devoir désormais. Il lui demande de sortir de la posture du Juif honteux qui a peur de « provoquer » par ses pratiques. Ce Juif qui préfère rester caché de peur d’être incompris. Affronter le monde et affirmer fièrement être Juif, cette conduite est celle d’Israël et c’est à présent celle qui doit guider son quotidien.

Ce dilemme n’a jamais quitté les Juifs tout au long de leur histoire. Fallait-il faire allégeance aux Romains avant la destruction du deuxième Temple de Jérusalem ? Faut-il aujourd’hui fuir un pays qui ne se réveille toujours pas de sa léthargie ? Un pays qui a tant de mal à prendre conscience d’un profond manque à la connaissance de l’autre ; un pays qui refuse de réaliser qu’une partie de sa population est endoctrinée par un discours d’intolérance et des actes antisémites ? Que faut-il faire ? 

La finalité messianique ne doit pas nous faire oublier le souci d’un quotidien – certes temporaire – que nous avons l’obligation d’assurer. Mais de quelle qualité ? En se cachant ou en diminuant notre filiation à nos origines ? En faisant profil bas ? Ou au contraire, aujourd’hui plus que jamais, en affirmant avec fierté et la tête haute son apport à la société moderne tout en étant fidèle à son histoire et à sa tradition.

Et si l’ange d’Esaü ne se contentait pas uniquement de bénir Jacob, mais souhaitait lui donner une leçon pour l’éternité ? Si son message était la recette efficace pour combattre une haine incompréhensible qui trouve ses racines dans les plus profondes ténèbres du caractère humain ? En d’autres termes, l’ange d’Esaü dit à Jacob « Juif, lève-toi, plutôt que de vouloir combattre un antisémitisme en essayant de séduire ton ennemi, prends ton courage et soit un Juif debout, marchant fièrement avec son identité et vas combattre le mal par le bien. Deviens Israël, l’homme fort et noble, l’homme de valeurs. Fais entendre ta voix aux nations ! ». Parce que les combats « contre » quelque chose doivent être remplacés par des combats « pour », seul capable de changer profondément notre société.

Les humanistes sélectifs

J’ai vécu il y a quelques jours une expérience que je ne suis pas prêt d’oublier. Mon fils était allongé sur la table de notre médecin de famille pour une ouverture en dessous du menton. Banale diriez-vous. J’ai donc eu la bonne idée de proposer au médecin de l’aider afin qu’il puisse faire les points de sutures sans que mon fils ne bouge de trop. Après quelques minutes je senti une personne au dessus de moi, me claquant le visage et me demandant de me réveiller. J’ouvris les yeux, je repris connaissance.
Le médecin devait soigner le fils et s’occuper du père évanoui à la vue d’une petite plaie ouverte. A ce moment on se sent un peu ridicule, presque humilié. Comment un père n’a pas résisté à la vue d’une banale intervention pour le bien de son fils ?
Le lendemain à la synagogue je partageais avec un médecin mon expérience de la veille. Il a à son tour décrit une intervention, mais je lui ai demandé d’arrêter, je ne pouvais pas entendre cela, ni le voir, lui ai-je dit.
Il m’a alors répondu froidement : « Pour moi c’est comme si j’ouvrais une baguette de pain ».
« C’est inhumain ce que tu dis ! » me suis-je exclamé.
La déshumanisation des médecins.
Voilà le titre que j’aurais pu donner à ce billet. Sauf que cette idée ne m’a pas quitté. Comment peut-on traiter un médecin d’inhumain ?
Si on devait comparer ma réaction et celle du praticien, il est évident que la mienne est plus digne d’un lâche et d’un faible, lors que celle du médecin est la seule solution humaine possible, puisque son intervention permet à l’humain de réparer ses blessures et de retrouver son humanité. Pourtant, le manque de sensibilité du médecin, traitant son patient comme une matière technique où il va couper avec un ciseau un bout de peau et de graisse, prendre un fil et une aiguille et recoudre l’ouverture comme une couturière qui reprend un morceau de tissu décousu, n’est non seulement une évidence mais également une nécessité. La trop grande sensibilité d’un chirurgien serait un handicap majeur à l’exercice de sa fonction. Cette double réflexion, le courage associé à une forme de déshumanisation et la faiblesse associée à l’humanisation m’a ouvert les yeux.

J’ai toujours cherché à comprendre la disproportion médiatique et humaniste de la communauté internationale face aux morts. Certes, la sensibilité est fondamentalement sélective, mais par dessus tout, il m’est profondément insupportable d’être insensible à la vie que les Israéliens vivent quotidiennement dans cette zone de tensions et particulièrement en période de conflit ouvert. Les Carons et autres végétariens de l’humanité s’offusquent devant 2 000 morts – sans rentrer dans le détail des chiffres contestables : civils, terroristes, vrais/faux morts. Mais personne n’est sensible à la mort des 200 000 hommes, femmes et enfants de Syrie, d’Irak etc. Pourquoi cette disproportion médiatique ?
Il est jusqu’à présent impossible de répondre à cette question sans évoquer l’antisémitisme – ce qui réduit considérablement les autres pistes de réflexion.
Mais pensez-y une seconde. Qui s’offusque de devoir enlever sa ceinture, ses chaussures et de vider sa bouteille d’eau pour rentrer dans un avion, alors que depuis plus de 13 ans personne n’est monté dans un avion avec une bombe ? Qui s’étonne de ne plus trouver une fourchette en métal même en première classe ? Qui se demande où est le baromètre de notre humanité quand l’armée française frappe au Mali causant des milliers de morts civils pour un risque très éloigné d’une hypothétique attaque en France ? La mobilisation internationale pour attaquer l’Etat islamique ne tuera pas que des hommes armés, soyez-en rassurés, pourtant on n’en parlera jamais, on ne parlera pas des familles islamiques qui vont mourir sous les bombes américaines et françaises. Pourquoi ?
Souvenez-vous du principe de déshumanisation. On s’étonne qu’une personne soit inhumaine uniquement parce qu’elle est le symbole de l’humanité. Ce n’est que parce qu’un médecin exerce une passion profondément humaine, parce qu’il veut aider son alter ego à retrouver sa dimension la plus élevée, parce qu’il est passionné par l’homme qu’il décide d’y consacrer sa vie, alors qu’on s’étonne qu’il puisse traiter un corps comme un bout de tissu.

On ne s’indigne qu’à l’endroit où règne la dignité.
On ne déshonore qu’envers l’être honoré.
On ne déshumanise que lorsqu’il y a humanité.
On ne demande pas à des barbares d’être humains.
On n’accuse même pas les coupeurs de tête de ne pas appliquer les conventions de Venise.
On n’insulte pas les terroristes d’être des criminels de guerres.

Parce qu’on ne demande pas à un inhumain de se comporter autrement.
Parce qu’on n’attend pas de sa part de se comporter autrement qu’en criminel.

Le monde ne comprend pas le médecin qui opère. Il ne comprend pas la guerre parce que, pour lui, la guerre, c’est donner la mort – c’était principalement les motivations des guerres de l’humanité – alors qu’Israël mène une guerre non pour donner la mort mais pour protéger la vie. La premier des principes de l’humanité est le devoir pour chaque être humain de protéger sa vie. De ne pas se mettre en danger et de ne pas avoir des pratiques pouvant porter atteinte à sa vie. Israël est certainement le pays le plus humain que je connaisse dans les conditions de vie qu’on lui connaît. Lui demander d’appliquer des principes de certains pays libres, ouverts et avec des voisins amis est simplement utopique. Lui reprocher de ne pas œuvrer avec humanité, c’est pour moi l’un des plus grands compliments qu’on puisse lui faire. Lui dire qu’il n’est pas humain, c’est reconnaître inconsciemment que ce pays se comporte selon des règles communes d’humanité.

mercredi 26 novembre 2014

Le judaïsme est-il vintage ?

Définition de vintage : Vêtement, accessoire ou meuble caractéristique d’une époque précédente et qui est remis au goût du jour.

Une question m’a surpris. Et m’a incité à y répondre avec sincérité. Elle a été posée par une étudiante suédoise de dix-sept ans.
Sa classe visitait la Grande Synagogue de Strasbourg à l’initiative de leur professeure, attentive à faire découvrir à ses élèves le patrimoine juif et désireuse d’établir un dialogue entre le rabbin et la vingtaine de jeunes.

Des Suédois à Strasbourg

Brève présentation de la synagogue et des principes fondamentaux du judaïsme, puis la parole est ouverte : les élèves discutent, interrogent, échangent.
Ce rituel se répète au fil des années, avec sa multitude de questions.

Mais cette question-là apparaissait pour la première fois : « Avec la montée de l’antisémitisme et les difficultés pour les Juifs de vivre et de s’épanouir à travers l’histoire, êtes-vous content d’être juif ? »

On m’avait déjà demandé s’il était facile de concilier vie religieuse et société. On m’avait déjà demandé si le judaïsme était une religion heureuse. On m’avait déjà demandé s’il était difficile d’être un Juif pratiquant.
Mais on ne m’avait jamais demandé si le poids de mon histoire remettait en question ma condition profonde de Juif. Si la lourde charge de mon passé pesait trop sur mes épaules. Et si j’en étais heureux.

Après un moment de réflexion, j’ai donc répondu : Votre question est pertinente et interpelle le cœur d’une histoire.
Tout d’abord, j’avoue n’avoir jamais eu le choix. Être juif est une condition qu’on ne choisit pas ; chacun la subit plus ou moins bien. Mais dans la mesure où je ne peux la choisir, il m’incombe d’en être heureux.

Comme vous touchez là un point sensible de mon identité, voici ce que je peux encore ajouter. Imaginez que votre famille ait des origines sortant de l’ordinaire.
Que votre arrière-grand-père était le cuisinier du roi de Suède et qu’il possédait des secrets culinaires transmis de génération en génération.
On peut imaginer sans peine le sentiment, particulier et intense, qui envahirait votre cœur lors la cérémonie familiale prendrait place, une fois par mois ou par semaine, quand ce plat serait cuisiné dans la sphère chaleureuse et restreinte des descendants.
Certes, les voisins seraient partagés. Les uns seraient admiratifs face à un rituel fidèle, à la beauté d’une pratique conservée ; les autres animés par la jalousie ou par un manque de sensibilité historique, indifférents à la tradition familiale ou hostile à la pérennité de cette particularité.
Figurez-vous à présent que, chaque matin depuis plus de 3 300 ans, les Juifs posent un boitier noir sur le bras et un autre sur la tête. Chaque matin depuis le jour où Moïse a demandé à D.ieu le secret des Tefilin.
D.ieu lui a expliqué qu’il fallait mettre quatre parchemins dans un boitier noir relié à des lanières en cuir et les mettre chaque jour. Dès lors, chaque matin, les Juifs à travers le monde font la même chose.
Ce témoignage d’un passé et d’une tradition historique est d’une puissance qui dépasse l’entendement. Chaque jour, je reproduis le geste de mon grand-père ainsi que celui de Moïse et du roi David ! Peut-on concevoir un geste plus fort ?

Une éternelle transmission

Le vendredi soir, je m’arrête de travailler pour me rendre à la synagogue ou bien me reposer chez moi, en famille. A l’instar de mes ancêtres depuis 3 300 ans, qui cessaient leur travail au coucher du soleil, tandis que les plats pour les vingt-cinq prochaines heures étaient déjà préparés.
Tout cela je l’accomplis de même. Cette chaîne de tradition ne s’est jamais interrompue depuis plus de trente-trois siècles. Je porte en moi un secret de famille qui n’a aucune équivalence dans l’histoire de l’humanité.
C’est pour moi une forme de responsabilité unique qui peut en effet susciter jalousie et incompréhension. Soit. Mais mon rôle est de partager cette joie avec ceux qui veulent comprendre ma particularité – et d’ignorer les autres.

Suis-je pour autant un homme du passé ?

Jamais je n’en ai eu le sentiment.
Car le peuple juif a toujours eu cette faculté de vivre dans un présent, de s’intégrer dans divers pays et continents, de prendre part aux développements scientifique, culturel et artistique, tout en préservant cet héritage si riche.
Le Juif ne se contente pas de vivre dans un présent avec l’héritage du passé. Il sait aussi être créatif et imaginer un futur ; il doit rêver, se projeter dans un avenir, avec son lot d’incertitudes.
Ainsi naît l’image du Juif jouant du violon, plus aisé à transporter qu’un piano en cas de déplacement forcé.

En somme, être juif n’est pas se situer dans un entre-deux – Bein leBein en hébreu -, entre deux histoires, entre deux temps, entre un passé et un futur, entre des traditions et un monde moderne, entre la vie privée et la synagogue.
Car ce Juif de l’entre-deux ne sait plus qui il est, où il se trouve ; il se redéfinit chaque jour au risque de perdre la définition stable et essentielle qui transcende les générations.
Ce Juif, à défaut de se concentrer sur le futur à réinventer, doit se concentrer sur la définition d’un présent indéfini.

Être juif, c’est la conjugaison de deux choses - Gam véGam – , d’un passé et d’un futur qui produit l’énergie d’agir dans le présent. Savoir d’où nous venons, prendre conscience de la charge d’une histoire.
Vibrer à l’évocation d’une pratique millénaire, car que peut-on trouver de plus fascinant que l’idée d’une gestuelle inchangée depuis le désert en route vers la terre promise ?
Suis-je heureux d’être juif ? Rien ne m’est plus excitant que la conscience juive.
Car pour moi être juif ce n’est pas être old-fashion, mais c’est « vintage » !
Ma réponse semble avoir convaincu la jeune fille en quête de compréhension, son visage s’est illuminé à mesure que je lui expliquais ma conception du Juif. La classe entière avec les trois professeurs a ri à l’association du judaïsme et de la mode en cours.

À toute allure

Remontant dans mon bureau je pris conscience de l’importance de parler de notre époque. Nous sommes à une époque charnière, dans une génération qui a encore une forme de nostalgie pour un passé alors qu’elle est projetée à grande vitesse dans une nouvelle ère qui semble faire perdre le contrôle à beaucoup d’entre nous.
Est-ce un hasard si notre époque renouvelle avec talent des objets du passé ?
N’est-ce pas le signe d’un besoin d’une conscience d’un temps plus ancien qui indiquerait la nécessité d’un repère ?
Le judaïsme moderne est inévitablement « Vintage » !

Le visage d’Avraham

A propos du premier verset de notre Paracha (Gen 25,19) : « Ceci est l’histoire d’Isaac, fils d’Avraham : Avraham engendra Isaac», le commentateur légendaire, Rachi, explique qu’à cause des moqueurs de l’époque, D.ieu a modelé le visage d’Isaac à la ressemblance de celui d’Avraham, et tout le monde a pu ainsi témoigner que celui-ci était bien son père.

Nous pouvons en conclure que, malgré le fait qu’un fils puisse ressembler à son père soit un phénomène naturel ; toutefois, Isaac, à l’origine, ne devait pas ressembler à Avraham et ce n’est que par le fait d’un miracle que cette ressemblance s’est faite.

Justement, pourquoi Isaac ne devait-il pas ressembler à son père ?

Le Rabbi de Loubavitch explique selon les principes des secrets de la Torah, qu’Avraham était le symbole de ’Hessed, la bonté. Or, la nature fait que les traits du visage expriment la qualité d’une personne. L’homme joyeux et accueillant a un visage différent de celui qui est animé par la rigueur et la sévérité. Parce que le caractère profond se retrouve sur la physionomie.

C’est ainsi qu’Avraham avait naturellement un visage souriant et avenant. Alors que son fils Isaac dont la qualité principale était la rigueur et l’exigence, devait avoir initialement un visage plus austère et plus grave que son père.

Mais le miracle se produisit, et Isaac est né avec les mêmes traits que son père. Il était donc rigoureux profondément, mais clément à l’extérieur.

N’est-ce pas là un enseignement pour chacun d’entre nous ?
Nous sommes tous, de façon plus ou moins fréquente, animés par une volonté de mettre de l’ordre et d’être rigoureux. Pour autant, la Torah nous enseigne que cet élan ne doit pas se transformer en barrière vis-à-vis d’autrui ; bien au contraire, nous devons en toute circonstance savoir garder un visage joyeux et ouvert aux autres. Le visage d’Avraham.
Car l’adage de la Michna: « Et accueille chaque individu avec un visage bienveillant » n’est pas destiné uniquement à ceux qui sont enclins naturellement à l’être.
N’est-ce pas un hasard si l’auteur de cet adage est Chamaï, l’illustre sage connu pour sa rigueur ?

mardi 23 septembre 2014

La  nostalgie  du  pays

Mon meilleur ami russe me raconta l’anecdote suivante.

Oleg et Michael se promenaient sur Brighton Beach – une plage située au Sud de Brooklyn, fréquentée par beaucoup de Juifs russes.
Quand soudain Michael dit à Oleg : « Qu’est- ce qu’on était bien en Russie, je me souviens encore des grandes avenues de Moscou, son théâtre le Bolchoï etc. Oui je sais, tout n’était pas parfait, ici à New York la vie est différente, voir même meilleure, mais tout de même je suis nostalgique de la Russie. Et toi Oleg tu ne dis rien ? Tu n’es pas nostalgique du pays qui t’a fait grandir ? »
Et Oleg de répondre à Michael : « Non, je ne suis pas nostalgique, je ne suis pas juif ! »


Cette anecdote ne quitte pas mon esprit depuis que j’ai lu l’éditorialiste de l’Express Christophe Barbier sur « Les juifs ont-ils raison d’avoir peur ? ».

Ma première réaction n’était certainement pas de répondre par oui ou non, mais bien de me demander pour qui se monsieur se prend ? Il se permet d’affirmer que nous – je me sens forcément inclus – avons peur et par conséquent, ose s’interroger si nous avons raison...
L’outrecuidance de juger de nos motivations est en soi une insolence. Car, premièrement, on peut considérer que notre expérience de l’histoire démontre que nous avons bien souvent raison avant les autres, quand il s’agit de sentir les dangers géopolitiques, et nos prophéties s’avèrent généralement plus pertinentes que les analyses d’une presse qui n’a d’autre vocation que celle de vendre du papier sur notre dos.

Mais là n’est pas vraiment le sujet...

Puis, ce que M. Barbier n’a pas compris, mais qui est ressenti comme une évidence pour beaucoup de Juifs, c’est que « la peur » n’est pas un sentiment qui habite notre peuple. Le peuple juif n’a pas peur, parce que, depuis la nuit des temps, nous vivons avec la promesse de la Torah : « Ne crains rien car l’Eternel ton D.ieu te protège ». Notre confiance en D.ieu est bien plus forte que la peur !
Vous allez me dire, mais si nous n’avons pas peur, quel est donc le problème des Juifs de France et globalement d’Europe ?


La réponse est plus subtile...

Les Juifs souffrent de nostalgie !

La nostalgie est un sentiment de tristesse causé par le désir de revivre un souvenir passé.
Les Juifs sont de grands démocrates, ils aiment la liberté, ils s’impliquent pour vivre en société, ils donnent leur avis sur tout, ils pensent, ils créent, ils se passionnent à imaginer le futur, ils savent appréhender les difficultés, ils ont du courage, ils n’ont pas peur de prendre des risques, ils éduquent leurs enfants avec le sens de l’effort et de la construction d’un avenir.

Cela ne veut pas dire qu’ils réussissent à chaque fois, mais il est évident que pour le peuple juif, le développement d’une société florissante et de son destin est une préoccupation majeure.

Or, les Juifs prennent conscience aujourd’hui d’une situation qui les rend nostalgiques. Le rêve français – s’il a un jour existé – est à ce jour bien endormi. La société d’intégration est un échec. La liberté des Juifs se limite dangereusement. L’affirmation d’une opinion favorable à Israël devient presque un délit. Le principe sacré de la démocratie qui doit être la pierre angulaire de nos valeurs, s’effrite.
En fait, que notre pays prenne position contre Israël, que la France et les grands médias ne comprennent pas que l’agresseur n’est pas Israël, pourrait à la limite se comprendre par les pressions et le vent international anti-israélien qui souffle sporadiquement mais sûrement. Mais que nos hommes politiques et que les médias mettent sur le même piédestal Israël et un mouvement terroriste sanguinaire tel que le Hamas, il y a là une ligne morale qu’un pays démocratique tel que la France ne devrait pas franchir.
Que des antisémites crient dans la rue « mort aux Juifs » est intolérable, certes. Mais le pire est de manifester et d’entendre des mouvements politiques et syndicaux officiels appeler à rejoindre le mouvement tandis que celui-ci a été interdit. Il s’agit là d’une offense majeure à l’autorité de l’Etat. Et pourtant, aucune sanction exemplaire ni mesure de répression n’ont été prononcées...

Or, fondamentalement, un pays qui ne se donne pas les moyens de faire respecter ses propres décisions est un pays sans avenir !

Quant au conflit israélien lui-même, on critique souvent les médias d’omettre de mentionner qui viole les cessez-le-feu etc. Mais plus grave qu’un simple oubli chronologique, c’est une faute morale éclatante d’injustice qui saute aux yeux à travers les allégations mensongères et les reportages biaisés des journalistes. Quel est le pays dont la moralité condamne un acte quand il est perpétré par Israël, mais qui soudain le transforme en cas de légitime défense pour un conflit situé à quelques centaines de kilomètres d’Israël à peine ? La France, entre autres.
Où se trouve le curseur moral de nos valeurs ?
La France et les pays qui l’accompagnent ont-elles le monopole de la lutte contre le terrorisme ?


La faute morale est l’élément qui provoque chez les Juifs – et c’est parfaitement mon cas – ce sentiment de nostalgie.


Je l’assume. Je suis nostalgique d’une France des valeurs. D’un pays qui ne change pas de virer de bord en fonction d’une manifestation, qui prend conscience des dangers que notre société court en renonçant à la lutte contre l’intégrisme.

Je suis nostalgique d’une France des libertés, où marcher dans la rue avec une Kippa ne fait pas de moi une cible avec le sentiment de mettre en danger mon intégrité physique.
Je suis nostalgique d’une France qui affichait – jadis – fièrement son amour pour Israël, symbole du seul couloir étatique de toute la région, partageant les mêmes valeurs que notre devise nationale.

Portant dans mes gènes 2000 ans d’errances, de menaces, de persécutions, d’expulsions et de massacres, j’ai développé une sensibilité qui fait de moi un être particulièrement réceptif aux changements de courants... A l’image des marins qui, au nez, savent de quel côté le vent va tourner !

Notre barque « France » s’éloigne du port de la République. La nostalgie devient de plus en plus intense. Certains se sont déjà jetés à l’eau pour nager vers des eaux plus plaisantes. 

CARNET DE VOYAGE : SUR LES TRACES DE LA SHOAH PAR BALLES

Article publié sur le site du Consistoire Israélite du Bas-Rhin
http://www.cibr.fr/nodeorder/term/1/carnet-de-voyage-mendel-samama-sur-les-traces-de-la-shoah-par-balles

Mi-avril avril, le Rabbin strasbourgeois, Mendel Samama, était en Ukraine pour participer à une mission de l’association Yahad In Unum au sein de laquelle il est engagée. A Korosten, précisément, aux côtés du Père Patrick Desbois, il est allé sur les traces de la Shoah par balles qui a tué un million et demi de juifs et de Tziganes en Europe de l’Est entre 1941 et 1944. Son récit, passionnant, nous permet de mesurer l’étendue de sa mission et, surtout, les émotions ressenties.
Pour moi, voyageur assez régulier entre l’Europe, la France et les pays de l’Est et l’Ukraine, il y a un avant et un après l’Euro 2013. Car même si le football n’est pas trop mon truc, je dois reconnaître que beaucoup de choses ont changé depuis. Le nouvel aéroport de Kiev, les routes refaites avec un bitume sans trous… tout cela rend l’atterrissage beaucoup plus agréable !
Mais il faut en profiter car ce sentiment ne dure jamais très longtemps. Au moins dans mon cas.
Après trois heures de route en voiture vers l’Ouest, me voilà arrivé à Korosten, petite ville du district de Zythomir dans un hôtel à l’allure soviétique, avec son long couloir et ses deux rangées de chambres sans fioritures de part et d’autres.
L’installation commence toujours par mettre au frigo la nourriture prévue pour les trois jours. Sauf que cette fois-ci, pas de chance,  ma chambre ne comporte pas le moindre équipement de ce type. Il va falloir attendre que l’équipe – déjà sur place depuis quelques jours et au travail - rentre du terrain pour obtenir de la réception soit un changement de chambre, soit l’installation d’un frigo dans la mienne.
Entre temps je demande du Wifi. On me dit qu’il n’y en a pas. Décidément, ce séjour commence bien…

LUNDI 22 AVRIL

Ici, pas besoin de réveil,  il n’y a ni volets ni même rideaux opaques et au-delà de 6 heures, il devient difficile de dormir. Douche, Tefila, petit déjeuner et organisation du travail pour la journée, voilà le programme de la matinée.
Geoffroy le chef d’équipe nous attend à 8h30 pour le départ.
À 10h15 nous arrivons dans le petit village de Ouchomir. Nous nous rendons chez un premier témoin, Trosky Saleyevitch. Né en 1931, il travaillait en 1939 dans une coopération et 150 juifs travaillaient dans les ateliers de l’État. Il se souvient qu’avant la guerre, les juifs habitaient au centre-ville. À l’époque il y avait deux conseils ruraux, l’un pour les Ukrainiens et l’autre pour les juifs, dirigé par un certain M. Leichman.
Il se souvient aussi de la famille Landman, leurs filles Frima et Shurka. Le père était commerçant. En face du club (lieu de rencontre et de jeux), à côté du marché, il y avait une synagogue en bois.
Lors de l’arrivée des Allemands,  le 8 août 1941, il était à Ouchomir. Il a vu les Allemands rassembler les juifs du village dans l’hôpital puis les fusiller. Selon lui, la plupart avaient toutefois quitté la ville avant l’occupation, en fuyant par le train en direction de Tachkent. Quant à leurs maisons, elles ont généralement été détruites par les voisins qui espéraient y trouver des bijoux et autres objets de valeur, que les juifs étaient supposés avoir enfoui dans la terre.
Une dizaine de juifs, artisans connus du village, ont réussi à se cacher dans une cave quelques jours. Mais une personne les a dénoncés aux Allemands. Comme ils refusaient de sortir, les Allemands ont jeté de la paille enflammée dans la cave. Ils ont été fusillés près de la rivière. Selon ce témoin, quelques années plus tard, les corps ont été exhumés et enterrés dans le cimetière juif.
Nous nous rendons alors sur le lieu de la fusillade, où nous savons que les juifs ont eux-mêmes creusé la fosse.
Nous faisons ensuite la connaissance d’un historien qui dit avoir enquêté sur l’histoire des juifs et des disparus pendant la guerre. Il parle beaucoup, veut raconter ce qu’il sait, mais il est beaucoup trop jeune pour avoir pu en être le témoin...
Le témoin Anthon Gergorewitch, né en 1924 dans le village Krotsnopil, nous en apprend davantage. Quand la guerre a commencé, il était dans un village à 10 km à l’ouest. Il se souvient très bien des juifs, il voulait même se marier avec une de leurs filles. Mais Mania, celle qu’il aimé et avec laquelle il voulait se marier, a disparu.
Dans sa classe à l’école, il y avait 13 enfants juifs. Il se souvient des Matsot que les juifs mangeaient à Péssa’h et des Tefilin que les juifs mettaient sur le bras. Les mariages mixtes existaient, M. Gershman s’est marié avec une Ukrainienne.
Après le déjeuner, nous poursuivons avec la visite du cimetière de la ville en compagnie du maire, une femme. Elle nous explique que certains juifs sont revenus après la guerre, d’autres ont maintenant de la famille en Israël. Ceci explique le fait qu’une partie du cimetière soit plus récente que l’autre.
Il n’a pas l’air réellement en danger, la mairie a l’air d’y faire un peu attention, d’autant plus qu’il se trouve en face de l’autre cimetière de la ville.
Pourtant, j’ai trouvé deux grandes croix dans une partie un peu retirée entre deux tombes juives. Elles n’y sont plus aujourd’hui. Elles ont été retirées par mes soins.
Le problème, c’est le long terme. Si l’agriculteur dont les champs s’étendent un peu plus loin veut dans quelques années rogner une partie du cimetière, qui l’en empêchera ? Pour cela, il faudrait le délimiter avec une barrière. La mairie ne semble pas avoir l’argent pour le faire et le coût est d’environ 1000 $. Je prends les coordonnées de la mairie, en espérant que nous trouverons une solution.
Nous changeons de village et nous nous rendons à Koupychtcha. Un témoin nous raconte en détail les événements de l’été 42. Il s’appelle M. Federowsky. Né en 1928, il avait alors 14 ans. Par chance, il a le goût de l’histoire et se souvient parfaitement de son déroulement.
Des juifs hongrois ont été forcés de rester dans une écurie. Il a fait du troc avec eux pendant quelques jours, il apportait du lait et du pain à l’ail, en échange d’une montre ou d’un couteau.
Un soir vers 2h du matin, il a été réveillé par une lumière qu’il a observée de son lit – celui-ci faisait face à la fenêtre. C’était l’écurie qui brûlait. Les Allemands ou les soldats hongrois (il ne sait pas) ont allumé l’incendie et 800 juifs y sont morts dans des cris atroces. Ceux qui ont tenté de se sauver par la seule issue qui restait se sont fait fusiller.
Seuls 15 ont été épargnés, dans le seul but de leur faire creuser une fosse et d’y disposer les restes des corps. Une fois le travail accompli, ils y sont descendus à leur tour et ont été tués d’une balle.
Aujourd’hui il ne reste plus aucune trace de ce drame. Après la guerre, le terrain a été utilisé pour faire paître les vaches. Un monument a été érigé un peu plus loin en 2005 par plusieurs organisations mais il se trouve à 300 mètres du lieu réel de la fosse, plus proche de la route, la raison sans doute du choix de cet emplacement. Ce monument est très particulier : il est composé de huit pierres symbolisant les 800 morts, et sur chacune sont listés les noms et prénoms des victimes.
Quant à l’emplacement lui-même, c’est désormais un terrain vague, donc sans risques.
Je cherche des noms familiers et en retrouve quelques uns : Adler, Landau, Ehrenreich, d’autres encore, je prends des photos. Je me dis que je vais peut être pouvoir aider une personne à la recherche des traces de sa famille. Je compte aussi plusieurs fois mon prénom, Mendel.
En rentrant, je constate que l’ambiance est plutôt légère. Le contraste est étonnant entre le sérieux avec lequel chacun aborde ce travail difficile pendant la journée, et le relâchement une fois la journée de travail achevée... Comme si nous cherchions à quitter ce monde de barbares dans lequel nous étions plongés pour un autre plus humain... Comme si la blague, ou l'histoire de famille opportunément racontée par l'un de nous nous permettait de renouer avec notre humanité...

MARDI 23 AVRIL
Départ vers 8h45 pour la ville de Olevsk, légèrement plus au nord que les villages précédents.
Quelqu'un nous indique que les juifs de la ville ont été fusillés un peu en dehors de la ville, dans le village de Varvarivka. Nous retrouvons la fosse grâce au grand monument qui y a été construit et sur lequel est précisé que « plus de 900 juifs homme, femmes et enfants ont étaient tués ici au bord de la rivière le 15 novembre 1941 ».
Nous découvrons notre premier témoin, une dame de 86 ans qui nous raconte que certains des juifs n'ont pas été tués par balle, mais à coups de pelles... Nous nous rendons avec elle sur les lieux. Mais cette fois, je ne descends pas du camion. Je ne veux pas. Au fond de moi, quelque chose me dit « stop, ça suffit ». Combien de fois vais-je encore devoir subir ces descriptions atroces, ces récits d'enfants assassinés ? L'envie de pleurer m'étreint la gorge... Jusqu’à quand ? Notre peuple qui a déjà tant souffert va-t-il encore souffrir ? Combien de temps ?
Ce n’est pas une lassitude, une envie de tout arrêter, je sais que ce travail important et unique. Que si je suis là c’est pour une mission à accomplir ! Mais je pense à ces enfants, ces bébés… J’ai envie de rentrer et de serrer les miens contre mon cœur.
Ce sentiment surgit parfois, et parfois il ne vient pas. Mais là j’ai un poids. Je sais que dans l’équipe, nous travaillons comme des historiens, en prenant la distance nécessaire avec les récits et les événements. Mais ce n’est pas la même chose pour moi. Parce que ces évènements ont concerné des juifs, ce n'est pas pour moi seulement l'histoire avec un grand H, c’est aussi mon histoire, c’est nous, c’est mon peuple, c’est mon frère, ma sœur, mes enfants... Je n'arrive pas toujours à écouter avec détachement, à demander de préciser un détail que je suis incapable d’entendre. Le chef d’équipe, lui, doit les demander, il doit faire son travail, chercher, enquêter...  Parfois c’est pour moi plus difficile, parce que je m’identifie à cette histoire qui n’est pas uniquement celle d’il y’a 70 ans ou plus, mais que je sens encore très présente... Dans ces moments-là, je reste dans le camion, j'écris, j'écoute de la musique, je me protège. J’irai les rejoindre dans un moment quand mon cœur me dira que c’est le moment de le faire...
Lorsque finalement je les rejoins, nous approchons de la fin. Mais j'entends l’essentiel. Ce ne sont pas les Allemands qui ont tué, mais les policiers (locaux). La vieille dame raconte qu’elle a vu les juifs marcher, subissant toutes sortes d'humiliations, contraints de ramper, manger de l’herbe. Parfois, les bourreaux brûlaient les barbes de ceux qui ne marchaient pas assez vite.... Lors de la fusillade, les enfants ont dû sauter sur les corps, puis ils ont été frappés à coups de pelles, jusqu’à la mort.
Il y a deux fosses. Le témoin raconte que lors du passage de la colonne son père a reconnu un juif qui marchait avec sa fille. Il a alors attiré la petite pour la cacher dans la jupe de sa propre fille (devenue cette vieille dame aux souvenirs bien vivaces). Cachée pendant 2 mois dans la forêt, la petite fille a survécu à la guerre. C’est le petit rayon de soleil de la journée. Une petite fille sauvée. Qui sauve une vie sauve un monde.
L’après-midi nous allons dans un autre village avoisinant à la recherche de témoins. Mais il n’y a plus grand monde. Nous ne trouvons qu'un vieux monsieur qui, malgré son apparence, dépasse les 88 ans. Il n’a pas vu les juifs en colonnes, les quelques familles du village l’ayant quitté avant l’arrivée des Allemands. Mais il se souvient des policiers qui ont violé une fille, Zlata. Il revoit encore cette scène macabre, et ces policiers qui organisent une sorte de "tournante" malgré les pleurs et les supplications de la mère.
De ces divers témoignages ressort clairement la méchanceté des policiers ukrainiens, une méchanceté qui dépasse la cruauté. L’excès de zèle dont ils se sont rendus coupables est inqualifiable.
La journée se termine avec ce témoin. Elle se termine, mais pas pour tout le monde : je laisse l'équipe derrière moi, continuer le travail entamé. Je dois rentrer pour prendre ma valise et voyager pour Kiev où demain matin j’ai le vol à 6h40 pour Paris. Trois heures de route pour faire le bilan de ces deux jours.
D’un côté je suis tellement soulagé de pouvoir rentrer à la maison, d’un autre je pars avec le sentiment d'une tâche qui ne sera certainement jamais achevée. Qui voudra mettre suffisamment d’argent pour protéger les cimetières, les fosses ? Qui prendra en charge le suivi des travaux ? C’est le travail d’une vie.
Mais qui est responsable de cette situation ? L’homme ? La communauté juive ?
En rentrant de ces voyages, j’emporte avec moi beaucoup plus de questions que de réponses. Des questions qui ne concernent pas seulement l’histoire, parce qu’elle nous dépasse, parce qu'elle n’est même pas de l’ordre du questionnement, mais de l’énigme, du mystère. Mes questions touchent à notre devoir à nous, notre mission, la grandeur de notre investissement. Et pas seulement cette mission en Ukraine, en Russie et ailleurs, mais plus généralement notre mission dans la vie. Pourquoi avons-nous la chance de vivre là librement ?
Mais je rentre aussi convaincu de l'importance de démontrer à notre peuple et à ceux qui nous observent que la vie prime, qu'elle doit être le centre de notre intérêt. Pas n’importe quelle vie, celle qui fait de nous des êtres vivants avec un sens et une raison d’être et, à mes yeux, cela passe nécessairement par la transmission des valeurs de la Torah et des Mitsvots.
Pour le reste, j’attends de pieds ferme le jour où on verra se relever nos frères et sœurs, lors de la rédemption finale et de la venue du Machia’h, que j'espère pour très bientôt. Amen.

mardi 24 juin 2014

L’Aliyah, est-ce vraiment maintenant ?

Préparez les passeports. Faites vos valises. L’Aliya c’est maintenant. Voilà un petit florilège des appels qu’on a pu constater particulièrement depuis l’attentat de Bruxelles et l’agression de Créteil, et il est vrai que c’est comme ça à chaque secousse.
Sur les blogs, les réseaux sociaux, chacun y va de son bon sentiment et de sa sincérité pour démontrer l’absolue nécessité de quitter la France (et même l’Europe) et de partir en Israël.
Je suis très réservé sur l’opportunité de ce type de réaction. Et je souhaite expliquer le danger que cela peut représenter en quelques points.
Premièrement : disons simplement, d’un point de vue psychologique, qu’il est évident que si la conséquence de la pression et des agressions que nos ennemis exercent sur nous provoquent une volonté de quitter le pays, il ne faut pas être un grand prophète pour prédire une augmentation de la pression sur les juifs de France.
En fait, quand on dit publiquement que nous allons partir, nos agresseurs se sentent dans la position du vainqueur et nous, dans la peau du vaincu. Ça devient alors un cercle vicieux sans fin.
Par ailleurs, les pouvoirs publics qui luttent – tant bien que mal – contre ces fléaux, risqueraient de ne pas comprendre le besoin de déployer des moyens pour modifier une situation, si de toute façon les juifs vont partir. Ça parait logique.
D’ailleurs, la Torah nous raconte à propos de la période d’exil des juifs en Égypte, où la pression et les agressions étaient terribles, les parents étaient esclaves, les enfants jetés à l’eau après la naissance, une situation comme jamais nous n’avions connue dans l’histoire, et quelle était la réaction des juifs ? La démission ? La soumission ? Non !
Jamais nous n’avons démissionné devant une difficulté. C’est ainsi que le verset témoigne (Exode 1,12) « Mais, plus on l’opprimait, plus sa population grossissait et débordait ». On ne renonçait pas à l’avenir, on n’arrêtait pas de bâtir des futures générations sous prétexte que les conditions de vie n’étaient pas assez bonnes.
Construire, grandir, multiplier le peuple, c’est cela notre réponse.
Se renforcer, être productif et refuser le repli.
Deuxièmement : d’un point de vue pratique, les appels à l’Aliyah ne s’adressent qu’à ceux qui peuvent concrètement partir, ce qui veut dire seulement une minorité des juifs et particulièrement une classe sociale qui a les moyens de partir ou un bagage qui va lui permettre de reconstruire une vie en Israël. Mais qu’en est-il des autres ? Les personnes âgées et les malades, les familles nombreuses et ceux qui vivent des aides sociales...
Que se passera-t-il pour eux ?
L’affaiblissement de cette population serait la conséquence directe de ces appels.

Est-ce vraiment responsable ? Est-ce que nous n’avons pas un devoir de responsabilité vis-à-vis de l’ensemble de la communauté ?
Il ne s’agit évidemment pas de décourager quiconque individuellement d’opérer un choix de vie, celui qui est l’idéal le plus valeureux pour chaque juif. Mais collectivement, la question est différente.
N’oubliez jamais que lorsque nous étions en Égypte, esclaves du Pharaon, nous avions eu la proposition de quitter l’Égypte partiellement en laissant derrière nous ceux dont l’avenir était incertain. Et Moïse, le plus grand leader de l’histoire de l’humanité, répondit (Exode 10,9) « Nous irons jeunes gens et vieillards; nous irons avec nos fils et nos filles, avec nos brebis et nos bœufs ».
En d’autres termes, il dit au Pharaon, nous n’allons pas nous sauver pour assurer notre survie, car quand nous partirons, ce sera avec la tête haute en ne laissant rien derrière nous. Se sauver comme des voleurs parce que la pression est trop forte dans l’espoir de sauver les meubles, ce n’est pas le genre de la maison.
Il y a quelques semaines, j’ai eu la chance d’entendre un débat de ce genre au Conseil de l’Europe, lors d’un congrès de Rabbins d’Europe.
Le Rabbin d’Ukraine était interpellé par ses collègues afin qu’il explique pourquoi nous n’avons pas entendu d’appel à l’Aliyah de sa part, dans une période où la situation est plus qu’incertaine avec les risques que nous connaissons pour la communauté juive.
Ce à quoi il répondit : en Ukraine il y a 120.000 personnes âgées qui vivent grâce à l’aide des structures communautaires. Si demain nous partons, il n’y aura plus d’argent pour payer les services médicaux, les soins spécifiques et les aides alimentaires, etc.
Quel est le rôle des rabbins et des dirigeants communautaires ?
D’appeler à l’abandon de ces personnes ? De dire à ceux qui peuvent bouger qu’ils le fassent ainsi il ne restera que ceux qui ne peuvent pas partir, donc sans soutien ?
Il est inutile de vous dire que l’ensemble des participants s’est incliné devant un tel dévouement et un aussi beau sens des responsabilités.
Pensez-vous que la situation soit pire qu’en Ukraine ?

En faisant référence encore une fois à l’exil en Égypte, savez-vous que parmi le peuple juif il y avait une tribu qui pouvait voyager, se déplacer et sortir d’Égypte? Il s’agit de la tribu de Levi. Cette grande famille n’était pas esclave, elle bénéficiait d’un statut à part et c’est justement ce qui explique le fait que Moïse pouvait sortir du pays pour converser avec D.ieu sur le lieu du buisson ardent.
Mais alors, pourquoi cette tribu n’est-elle pas sortie d’Égypte seule ? Pourquoi a-t-elle choisi de rester plutôt que de préparer l’avenir sur une terre plus sereine ?
Troisièmement : le point de vue géopolitique.
Il est évident qu’Israël vit actuellement des jours difficiles sur la scène internationale. Le climat est loin d’être favorable et ce que certains appellent l’isolement d’Israël, même si la réalité n’est pas celle que certains haineux espèrent, néanmoins, les tensions sont bien là. Et ce n’est pas le grand amour entre l’Europe et Israël.
Alors posons-nous la question simplement : si demain l’Europe n’a plus de grandes communautés juives, si les grandes organisations ne développent plus le judaïsme, si les militants et les dirigeants communautaires se laissent aller au défaitisme, cela va-t-il renforcer Israël ? Ne pensez-vous pas que les juifs et leur influence en diaspora sont aussi importants pour Israël ?
Israël a besoin d’être fort, mais Israël a également besoin d’une diaspora forte et active.
Puis je souhaite terminer sur un point qui évoque chez moi une certaine nostalgie. Ce sentiment qui s’éveille à chaque fois que je mets les pieds en Israël et que je respire l’air de Jérusalem.
Il s’agit du principe de l’Aliyah qui n’est pas récent et qui a été pour beaucoup d’hommes et de femmes de l’histoire du peuple juif, la raison d’être de leur vie.
Peut-on ne pas citer le Talmud de Jérusalem (Cheviyit P4,7) qui raconte à propos de Rabbi Yossi ben ‘Hanina qu’il embrassait les pierres d’Israël lorsqu’il rentrait de voyage ?

Qui n’a pas connu l’histoire de Rabbi Yehouda Halevi (1075-1141) l’auteur du fameux livre le Kuzari, né à Tolède et médecin de renommée qui choisit de laisser sa fortune et le confort de son statut en Espagne pour monter en Israël? Ses nombreux poèmes de passion pour la terre de nos ancêtres ne sont qu’un aperçu de la flamme qui brûlait en lui pour réaliser son rêve.
Et alors qu’il venait de mettre les pieds à Jérusalem, l’histoire raconte que son accompagnateur rugissait de jalousie en voyant la joie du grand homme qui pouvait enfin toucher l’histoire avec ses mains et il tua sur place le grand maître et poète Yehouda Halevi.
Ce qui est – pour moi – le plus saisissant dans ce récit, ce n’est pas uniquement le tragique épisode de la mort de Rabbi Yehouda, mais l’imagination de l’expression de ce visage, sage et rayonnant, joyeux et nostalgique par l’unique fait de fouler le centre névralgique du peuple juif.
Ça devait être d’une intensité telle, à rendre jaloux un observateur extérieur.
Cette joie, ce visage, cette passion, cette nostalgie c’est le cœur du sens de l’Aliyah. Que la terre soit celle où coulent le lait et le miel, du vin médaillé ou des technologies jalousées, c’est évidemment le signe d’une bénédiction immense ; que cette terre soit celle où nous souhaitons offrir un avenir à nos enfants, c’est naturellement une aspiration légitime et respectable.
Mais ces raisons ne doivent pas masquer la cause véritable de ces bienfaits qui n’est autre qu’Israël est « un pays sur lequel veille l’Éternel, ton D.ieu, et qui est constamment sous l’œil du Seigneur, depuis le commencement de l’année jusqu’à la fin » (Deut 11,12).
Souhaitons nous d’avoir le magnifique privilège de réaliser ce rêve, l’aspiration spirituelle la plus haute, de pouvoir toucher de nos mains les pierres de Jérusalem reconstruite avec le troisième Temple. Aujourd’hui, Amen !
Ne donnons pas le mérite de ce rêve à nos ennemis !