mercredi 29 avril 2015

Les humanistes sélectifs

J’ai vécu il y a quelques jours une expérience que je ne suis pas prêt d’oublier. Mon fils était allongé sur la table de notre médecin de famille pour une ouverture en dessous du menton. Banale diriez-vous. J’ai donc eu la bonne idée de proposer au médecin de l’aider afin qu’il puisse faire les points de sutures sans que mon fils ne bouge de trop. Après quelques minutes je senti une personne au dessus de moi, me claquant le visage et me demandant de me réveiller. J’ouvris les yeux, je repris connaissance.
Le médecin devait soigner le fils et s’occuper du père évanoui à la vue d’une petite plaie ouverte. A ce moment on se sent un peu ridicule, presque humilié. Comment un père n’a pas résisté à la vue d’une banale intervention pour le bien de son fils ?
Le lendemain à la synagogue je partageais avec un médecin mon expérience de la veille. Il a à son tour décrit une intervention, mais je lui ai demandé d’arrêter, je ne pouvais pas entendre cela, ni le voir, lui ai-je dit.
Il m’a alors répondu froidement : « Pour moi c’est comme si j’ouvrais une baguette de pain ».
« C’est inhumain ce que tu dis ! » me suis-je exclamé.
La déshumanisation des médecins.
Voilà le titre que j’aurais pu donner à ce billet. Sauf que cette idée ne m’a pas quitté. Comment peut-on traiter un médecin d’inhumain ?
Si on devait comparer ma réaction et celle du praticien, il est évident que la mienne est plus digne d’un lâche et d’un faible, lors que celle du médecin est la seule solution humaine possible, puisque son intervention permet à l’humain de réparer ses blessures et de retrouver son humanité. Pourtant, le manque de sensibilité du médecin, traitant son patient comme une matière technique où il va couper avec un ciseau un bout de peau et de graisse, prendre un fil et une aiguille et recoudre l’ouverture comme une couturière qui reprend un morceau de tissu décousu, n’est non seulement une évidence mais également une nécessité. La trop grande sensibilité d’un chirurgien serait un handicap majeur à l’exercice de sa fonction. Cette double réflexion, le courage associé à une forme de déshumanisation et la faiblesse associée à l’humanisation m’a ouvert les yeux.

J’ai toujours cherché à comprendre la disproportion médiatique et humaniste de la communauté internationale face aux morts. Certes, la sensibilité est fondamentalement sélective, mais par dessus tout, il m’est profondément insupportable d’être insensible à la vie que les Israéliens vivent quotidiennement dans cette zone de tensions et particulièrement en période de conflit ouvert. Les Carons et autres végétariens de l’humanité s’offusquent devant 2 000 morts – sans rentrer dans le détail des chiffres contestables : civils, terroristes, vrais/faux morts. Mais personne n’est sensible à la mort des 200 000 hommes, femmes et enfants de Syrie, d’Irak etc. Pourquoi cette disproportion médiatique ?
Il est jusqu’à présent impossible de répondre à cette question sans évoquer l’antisémitisme – ce qui réduit considérablement les autres pistes de réflexion.
Mais pensez-y une seconde. Qui s’offusque de devoir enlever sa ceinture, ses chaussures et de vider sa bouteille d’eau pour rentrer dans un avion, alors que depuis plus de 13 ans personne n’est monté dans un avion avec une bombe ? Qui s’étonne de ne plus trouver une fourchette en métal même en première classe ? Qui se demande où est le baromètre de notre humanité quand l’armée française frappe au Mali causant des milliers de morts civils pour un risque très éloigné d’une hypothétique attaque en France ? La mobilisation internationale pour attaquer l’Etat islamique ne tuera pas que des hommes armés, soyez-en rassurés, pourtant on n’en parlera jamais, on ne parlera pas des familles islamiques qui vont mourir sous les bombes américaines et françaises. Pourquoi ?
Souvenez-vous du principe de déshumanisation. On s’étonne qu’une personne soit inhumaine uniquement parce qu’elle est le symbole de l’humanité. Ce n’est que parce qu’un médecin exerce une passion profondément humaine, parce qu’il veut aider son alter ego à retrouver sa dimension la plus élevée, parce qu’il est passionné par l’homme qu’il décide d’y consacrer sa vie, alors qu’on s’étonne qu’il puisse traiter un corps comme un bout de tissu.

On ne s’indigne qu’à l’endroit où règne la dignité.
On ne déshonore qu’envers l’être honoré.
On ne déshumanise que lorsqu’il y a humanité.
On ne demande pas à des barbares d’être humains.
On n’accuse même pas les coupeurs de tête de ne pas appliquer les conventions de Venise.
On n’insulte pas les terroristes d’être des criminels de guerres.

Parce qu’on ne demande pas à un inhumain de se comporter autrement.
Parce qu’on n’attend pas de sa part de se comporter autrement qu’en criminel.

Le monde ne comprend pas le médecin qui opère. Il ne comprend pas la guerre parce que, pour lui, la guerre, c’est donner la mort – c’était principalement les motivations des guerres de l’humanité – alors qu’Israël mène une guerre non pour donner la mort mais pour protéger la vie. La premier des principes de l’humanité est le devoir pour chaque être humain de protéger sa vie. De ne pas se mettre en danger et de ne pas avoir des pratiques pouvant porter atteinte à sa vie. Israël est certainement le pays le plus humain que je connaisse dans les conditions de vie qu’on lui connaît. Lui demander d’appliquer des principes de certains pays libres, ouverts et avec des voisins amis est simplement utopique. Lui reprocher de ne pas œuvrer avec humanité, c’est pour moi l’un des plus grands compliments qu’on puisse lui faire. Lui dire qu’il n’est pas humain, c’est reconnaître inconsciemment que ce pays se comporte selon des règles communes d’humanité.

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