mardi 24 juin 2014

L’Aliyah, est-ce vraiment maintenant ?

Préparez les passeports. Faites vos valises. L’Aliya c’est maintenant. Voilà un petit florilège des appels qu’on a pu constater particulièrement depuis l’attentat de Bruxelles et l’agression de Créteil, et il est vrai que c’est comme ça à chaque secousse.
Sur les blogs, les réseaux sociaux, chacun y va de son bon sentiment et de sa sincérité pour démontrer l’absolue nécessité de quitter la France (et même l’Europe) et de partir en Israël.
Je suis très réservé sur l’opportunité de ce type de réaction. Et je souhaite expliquer le danger que cela peut représenter en quelques points.
Premièrement : disons simplement, d’un point de vue psychologique, qu’il est évident que si la conséquence de la pression et des agressions que nos ennemis exercent sur nous provoquent une volonté de quitter le pays, il ne faut pas être un grand prophète pour prédire une augmentation de la pression sur les juifs de France.
En fait, quand on dit publiquement que nous allons partir, nos agresseurs se sentent dans la position du vainqueur et nous, dans la peau du vaincu. Ça devient alors un cercle vicieux sans fin.
Par ailleurs, les pouvoirs publics qui luttent – tant bien que mal – contre ces fléaux, risqueraient de ne pas comprendre le besoin de déployer des moyens pour modifier une situation, si de toute façon les juifs vont partir. Ça parait logique.
D’ailleurs, la Torah nous raconte à propos de la période d’exil des juifs en Égypte, où la pression et les agressions étaient terribles, les parents étaient esclaves, les enfants jetés à l’eau après la naissance, une situation comme jamais nous n’avions connue dans l’histoire, et quelle était la réaction des juifs ? La démission ? La soumission ? Non !
Jamais nous n’avons démissionné devant une difficulté. C’est ainsi que le verset témoigne (Exode 1,12) « Mais, plus on l’opprimait, plus sa population grossissait et débordait ». On ne renonçait pas à l’avenir, on n’arrêtait pas de bâtir des futures générations sous prétexte que les conditions de vie n’étaient pas assez bonnes.
Construire, grandir, multiplier le peuple, c’est cela notre réponse.
Se renforcer, être productif et refuser le repli.
Deuxièmement : d’un point de vue pratique, les appels à l’Aliyah ne s’adressent qu’à ceux qui peuvent concrètement partir, ce qui veut dire seulement une minorité des juifs et particulièrement une classe sociale qui a les moyens de partir ou un bagage qui va lui permettre de reconstruire une vie en Israël. Mais qu’en est-il des autres ? Les personnes âgées et les malades, les familles nombreuses et ceux qui vivent des aides sociales...
Que se passera-t-il pour eux ?
L’affaiblissement de cette population serait la conséquence directe de ces appels.

Est-ce vraiment responsable ? Est-ce que nous n’avons pas un devoir de responsabilité vis-à-vis de l’ensemble de la communauté ?
Il ne s’agit évidemment pas de décourager quiconque individuellement d’opérer un choix de vie, celui qui est l’idéal le plus valeureux pour chaque juif. Mais collectivement, la question est différente.
N’oubliez jamais que lorsque nous étions en Égypte, esclaves du Pharaon, nous avions eu la proposition de quitter l’Égypte partiellement en laissant derrière nous ceux dont l’avenir était incertain. Et Moïse, le plus grand leader de l’histoire de l’humanité, répondit (Exode 10,9) « Nous irons jeunes gens et vieillards; nous irons avec nos fils et nos filles, avec nos brebis et nos bœufs ».
En d’autres termes, il dit au Pharaon, nous n’allons pas nous sauver pour assurer notre survie, car quand nous partirons, ce sera avec la tête haute en ne laissant rien derrière nous. Se sauver comme des voleurs parce que la pression est trop forte dans l’espoir de sauver les meubles, ce n’est pas le genre de la maison.
Il y a quelques semaines, j’ai eu la chance d’entendre un débat de ce genre au Conseil de l’Europe, lors d’un congrès de Rabbins d’Europe.
Le Rabbin d’Ukraine était interpellé par ses collègues afin qu’il explique pourquoi nous n’avons pas entendu d’appel à l’Aliyah de sa part, dans une période où la situation est plus qu’incertaine avec les risques que nous connaissons pour la communauté juive.
Ce à quoi il répondit : en Ukraine il y a 120.000 personnes âgées qui vivent grâce à l’aide des structures communautaires. Si demain nous partons, il n’y aura plus d’argent pour payer les services médicaux, les soins spécifiques et les aides alimentaires, etc.
Quel est le rôle des rabbins et des dirigeants communautaires ?
D’appeler à l’abandon de ces personnes ? De dire à ceux qui peuvent bouger qu’ils le fassent ainsi il ne restera que ceux qui ne peuvent pas partir, donc sans soutien ?
Il est inutile de vous dire que l’ensemble des participants s’est incliné devant un tel dévouement et un aussi beau sens des responsabilités.
Pensez-vous que la situation soit pire qu’en Ukraine ?

En faisant référence encore une fois à l’exil en Égypte, savez-vous que parmi le peuple juif il y avait une tribu qui pouvait voyager, se déplacer et sortir d’Égypte? Il s’agit de la tribu de Levi. Cette grande famille n’était pas esclave, elle bénéficiait d’un statut à part et c’est justement ce qui explique le fait que Moïse pouvait sortir du pays pour converser avec D.ieu sur le lieu du buisson ardent.
Mais alors, pourquoi cette tribu n’est-elle pas sortie d’Égypte seule ? Pourquoi a-t-elle choisi de rester plutôt que de préparer l’avenir sur une terre plus sereine ?
Troisièmement : le point de vue géopolitique.
Il est évident qu’Israël vit actuellement des jours difficiles sur la scène internationale. Le climat est loin d’être favorable et ce que certains appellent l’isolement d’Israël, même si la réalité n’est pas celle que certains haineux espèrent, néanmoins, les tensions sont bien là. Et ce n’est pas le grand amour entre l’Europe et Israël.
Alors posons-nous la question simplement : si demain l’Europe n’a plus de grandes communautés juives, si les grandes organisations ne développent plus le judaïsme, si les militants et les dirigeants communautaires se laissent aller au défaitisme, cela va-t-il renforcer Israël ? Ne pensez-vous pas que les juifs et leur influence en diaspora sont aussi importants pour Israël ?
Israël a besoin d’être fort, mais Israël a également besoin d’une diaspora forte et active.
Puis je souhaite terminer sur un point qui évoque chez moi une certaine nostalgie. Ce sentiment qui s’éveille à chaque fois que je mets les pieds en Israël et que je respire l’air de Jérusalem.
Il s’agit du principe de l’Aliyah qui n’est pas récent et qui a été pour beaucoup d’hommes et de femmes de l’histoire du peuple juif, la raison d’être de leur vie.
Peut-on ne pas citer le Talmud de Jérusalem (Cheviyit P4,7) qui raconte à propos de Rabbi Yossi ben ‘Hanina qu’il embrassait les pierres d’Israël lorsqu’il rentrait de voyage ?

Qui n’a pas connu l’histoire de Rabbi Yehouda Halevi (1075-1141) l’auteur du fameux livre le Kuzari, né à Tolède et médecin de renommée qui choisit de laisser sa fortune et le confort de son statut en Espagne pour monter en Israël? Ses nombreux poèmes de passion pour la terre de nos ancêtres ne sont qu’un aperçu de la flamme qui brûlait en lui pour réaliser son rêve.
Et alors qu’il venait de mettre les pieds à Jérusalem, l’histoire raconte que son accompagnateur rugissait de jalousie en voyant la joie du grand homme qui pouvait enfin toucher l’histoire avec ses mains et il tua sur place le grand maître et poète Yehouda Halevi.
Ce qui est – pour moi – le plus saisissant dans ce récit, ce n’est pas uniquement le tragique épisode de la mort de Rabbi Yehouda, mais l’imagination de l’expression de ce visage, sage et rayonnant, joyeux et nostalgique par l’unique fait de fouler le centre névralgique du peuple juif.
Ça devait être d’une intensité telle, à rendre jaloux un observateur extérieur.
Cette joie, ce visage, cette passion, cette nostalgie c’est le cœur du sens de l’Aliyah. Que la terre soit celle où coulent le lait et le miel, du vin médaillé ou des technologies jalousées, c’est évidemment le signe d’une bénédiction immense ; que cette terre soit celle où nous souhaitons offrir un avenir à nos enfants, c’est naturellement une aspiration légitime et respectable.
Mais ces raisons ne doivent pas masquer la cause véritable de ces bienfaits qui n’est autre qu’Israël est « un pays sur lequel veille l’Éternel, ton D.ieu, et qui est constamment sous l’œil du Seigneur, depuis le commencement de l’année jusqu’à la fin » (Deut 11,12).
Souhaitons nous d’avoir le magnifique privilège de réaliser ce rêve, l’aspiration spirituelle la plus haute, de pouvoir toucher de nos mains les pierres de Jérusalem reconstruite avec le troisième Temple. Aujourd’hui, Amen !
Ne donnons pas le mérite de ce rêve à nos ennemis !